Quid pro quo, quiproquos et paradoxes économiques de la diplomatie tunisienne

Les décisions paradoxales de la diplomatie tunisienne se multiplient et se ressemblent! Y a-t-il une rationalité économique derrière cette apparente intransitivité décisionnelle? Si oui, laquelle?

Par Moktar Lamari

Il y a quelques semaines, le président Kaïs Saïed a «gaffé» avec le Maroc, en accueillant tapis rouge et tambour battant le patron du front Polisario. Il sait ce qu’il fait en sacrifiant les liens historiques et économiques avec le Maroc, au profit de l’Algérie, et en contrepartie d’un plus de générosité en gaz, pétrole et donations.

Ces derniers jours, la diplomatie tunisienne vote une résolution contre la Russie, pour bénéficier illico presto d’une aide américaine de 60 millions de dollars.

Cette semaine la diplomatie tunisienne affiche un soutien intéressé à une décision engagée par l’Arabie Saoudite et la Russie pour réduire la production de pétrole, et donc augmenter les cours de cette denrée stratégique, damant le pion au président Biden en furie contre la décision saoudienne.

La Tunisie courtisait l’Arabie Saoudite pour des prêts promis et devenus urgents pour un budget public exsangue et sur le bord de la banqueroute. Dans les milieux diplomatiques, on estime le prêt saoudien à la Tunisie à 500 millions de dollars américains, dès accord final avec le FMI, prévu en décembre.

Manger à tous les râteliers

Mises ensemble, toutes ces décisions en apparence paradoxales et non transitives ont une rationalité purement économique fondée sur l’opportunisme vénal où le décideur veut optimiser ses rentrées en argent, quitte à manger à tous les râteliers.

Paradoxe, quid pro quo (1) et logrolling (2) sont autant de termes de qui décrivent la situation. Des concepts documentés par la théorie économique du public choice, une théorie économique libertarienne et qui s’apparente aux théories monétaristes ultra-orthodoxes utilisées par la Banque centrale pour justifier l’augmentation effrénée des taux d’intérêt, sacrifiant l’investissement et la croissance.

Les économistes de l’école américaine du public choice ont dévoilé les secrets de la mercantilisation des votes des élus politiques. On parle de logrolling pour décrire «le paradoxe du vote», ou encore le positionnement stratégique par un vote donné, une décision ou une  alliance.

Ces économistes expliquent que les États, comme les partis ou les citoyens peuvent monnayer leur vote en contrepartie de dividendes et des intérêts marchands, pour mousser leur bénéfice net, pour se maintenir au pouvoir ou accéder au pouvoir.

Ils peuvent faire des alliances changeantes au gré des intérêts des décideurs et des contingences liées. Et cette réalité a été documentée par de la littérature sur les choix publics concernant les questions conceptuelles, logiques, empiriques et normatives relatives à l’exploitation forestière et à la négociation des votes.

Une démarche vénale de court terme

C’est plus que du realpolitik, cela relève davantage d’un trade off, motivé par une démarche vénale fondé sur un calcul cost-benefit qui soutient de tels paradoxes de vote, quand le discours politiques officiel peut être aux antipodes de ces votes et alliances mercantiles.

James Buchanan et Gordon Tullock (1962) ont expliqué cette logique politico-vénale dans leur célèbre livre The Calculus of Consent: Logical Foundations of Constitutional Democracy.

Ces auteurs donnent raison aux calculs mercantiles de la diplomatie de Kaïs Saïed, en faisant la démonstration que :

(i) le droit de vote de la diplomatie ou les changements d’alliance sur une question constituent un bien économique et devrait être traité au regard du coût-bénéfice du pouvoir en place et des décideurs aux commandes, peu importe les autres intérêts des citoyens et autres enjeux stratégiques;

(ii) l’échange marchand et la vénalité de votes sont empiriquement démontrés chez les décideurs politiques, même si ceux-ci tiennent un autre discours, parfois populiste parfois opportuniste;

(iii) l’échange marchand de votes permet une expression plus fine des préférences individuelles des politiciens confrontés à des choix complexes et qui peuvent mettre en question leur durabilité au pouvoir;

(iv) l’échange marchand de votes conduit généralement et dans le court terme à un résultat déterminé plus «souhaitable» politiquement le résultat sans échange de votes. Mais, cela peut ne pas tenir dans le moyen et le long terme.

Les choix engagés par la diplomatie tunisienne durant les dernières semaines ne peuvent pas s’expliquer autrement que par ce quiproquo et logrolling mercantile et vénal. Des choix qui ne sont pas assumés ouvertement, mais glissés en catimini pour se maintenir au pouvoir et garder l’omerta sur les motivations et les ambitions de ceux qui les ont initiés.

* Economiste universitaire au Canada.

Notes :

1- Echange de bons procédés, donnant-donnant.

2- Echange de concessions mutuelles.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.