Le poème du dimanche : ‘‘Enée et Didon’’ de  Joseph Brodsky

Poète russe et citoyen américain, Joseph Brodsky est né en 1940, à Leningrad/Saint Pétersbourg. Prix Nobel, à l’âge de 47 ans, il fut condamné en Union soviétique, en 1964, à cinq ans de déportation pour «parasitisme». Il a été considéré comme «parasite social en marge de la littérature», non conforme aux normes de la littérature officielle, qu’il mettait en question, y compris dans ses règles esthétiques.

A son retour de déportation, il est expulsé et émigre en 1972 aux Etats-Unis, où il se fixe et enseigne dans différentes universités. Publie des essais et critiques en anglais.

Sa poésie reste enracinée dans la tradition russe, marquée par un lyrisme nourri de culture classique.

Son écriture, inscrite dans la modernité, est dominée par les thèmes de l’exil, la séparation, la solitude. Il décède à New York en 1996. Il est enterré en Italie, pays de son épouse, aux environs de Venise.

Quelques recueils : Une halte dans le désert, 1970; Partie du discours, 1977; Nouvelles stances, 1983; Uranie, 1987; Poèmes (1961-1987), 1987. Cf. Efim Etkind, Joseph Brodski ou le procès d’un poète, Poche, 1988.

Tahar Bekri

Lui regardait au loin par la croisée ;

son monde à elle s’arrêtait au revers

de l’ample péplos grec qu’il revêtait

ourlé de plis généreux, comme si

la mer s’était figée.

                                       Lui, cependant,

il regardait si loin de ce regard

était si loin de ces lieux que ses lèvres

semblaient figées comme une conque où sourd

un ressac ; l’horizon dans son bocal

semblait paralysé.

                                        Elle l’aimait

d’amour leste comme un poisson, capable

de plonger et poursuivre le vaisseau

et fendant le flot de son corps si souple

peut-être même dépasser…mais lui

déjà en pensée avait débarqué.

Et la mer plus ne fut mer que de pleurs.

Mais, c’est chose connue, à point nommé

du désespoir, enfin les vents se lèvent

qui lui sont favorables. Le grand homme

quitte Carthage.

                                         Or elle se tenait

devant le bûcher qu’avaient allumé

les soldats sous le mur de sa cité

et vit, dans le mirage du brasier,

qui frémissait entre flamme et fumée,

Carthage s’écroule dans le silence

bien avant la prédiction de Caton.

Traduit par Georges Nivat, Poèmes (1961-1987), Gallimard, 1987.

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