Tunisie : le ministère de la Santé aux abonnés absents

Au centre des événements durant ces deux dernières années, en raison de la pandémie du Covid-19, le dossier de la santé a, depuis quelques mois, disparu complètement des radars des pouvoirs publics comme de la vigilance des médias et de la société civile. La récente visite du président de la république à l’hôpital de la Rabta à Tunis (voir illustration) n’aurait donc pas servi à grand-chose, en tout cas elle n’a pas mis ce secteur sous les feux des projecteurs !

Par Raouf Chatty *

En effet, le ministère de la Santé est pratiquement aux abonnés absents. Il tend à oublier que la santé est le bien le plus précieux pour l’individu comme pour la collectivité et qu’à ce titre, elle est extrêmement importante, y compris pour l’économie nationale.  Une gestion rationnelle du dossier épargne beaucoup de maux au peuple et permet à l’Etat d’économiser beaucoup d’argent.

Des questions légitimes se posent sur le rôle de ce département dans la supervision des hôpitaux et des cliniques, dans l’expansion et la construction de la médecine préventive, dans la présence effective de la médecine scolaire, universitaire, et professionnelle, dans la disponibilité des médicaments…

En réalité, les citoyens ne voient pas des actions notoires de la part du ministère de la Santé : pas de points d’information, pas de conférences de presse sur des sujets de controverse, et Dieu Sait qu’il y en a, et qui sont pourtant vitaux car ils touchent le peuple dans son quotidien.

L’inexplicable silence de l’Etat  

De nombreux problèmes sont préoccupants, notamment le manque de personnel et d’équipement des hôpitaux, le surpeuplement des services, les longs et épuisants délais d’attente, la vétusté des infrastructures, les pénuries récurrentes des médicaments, les conditions piteuses d’accueil des patients, l’indiscipline des membres du personnel paramédical de plus en plus visible dans les centres de soins, la fatigue physique et morale des jeunes médecins, internes comme résidents, souvent surexploités et très mal payés, les départs massifs des jeunes médecins à l’étranger…

Le ministre de la Santé ne parle pas beaucoup de ces dossiers extrêmement importants qui relèvent pourtant de ses attributions. Pis, la situation dans les hôpitaux en matière de salubrité laisse vraiment à désirer… Il est évident que les conditions ne sont pas meilleures dans les hôpitaux basés dans les villes et les dispensaires dans les villages. 

Aucune information utile ne filtre de ce département, dans l’irrespect total du droit de l’opinion publique à être tenue informée sur un dossier aussi vital.

Le ministère de la Santé doit avoir toujours présent à l’esprit que la constitution stipule que la santé est un droit humain fondamental. Cette garantie constitutionnelle comprend le droit de tous les citoyens à des soins de qualité. Cela est d’autant plus impératif que l’État se proclame démocratique et que le président de la république en personne n’arrête dans chacune de ses interventions de placer l’intérêt du peuple au centre de ses discours. 

A ce propos, force est de relever que l’opinion publique ne semble pas figurer sur l’agenda du ministère de la Santé. Celle-ci ne sait pratiquement rien sur les grandes orientations de l’Etat en matière de santé, sur les politiques de santé du gouvernement, sur le budget consacré au secteur, sur la répartition des établissements de santé à travers la république, sur la disponibilité des médecins, des hôpitaux et des médicaments, sur les régimes d’assurance maladie, sur les maladies qui sont prises en charge par les caisses d’assurance maladie…

Les réformes n’attendent plus

Les gens se plaignent chaque jour des nombreuses défaillances dans les hôpitaux comme dans les établissements privés de santé. Mais le ministère garde un silence total sur ces questions. C’est le flou qui règne. Personne ne sait ce que font les directions  régionales de la santé basées dans chaque chef-lieu de gouvernorat, quel genre de rapport le ministère entretient avec les établissements publics de santé, tout comme avec les cliniques. Ces dernières sont souvent l’objet de plaintes de la part de patients qui leur reprochent entre autres leurs tarifs exorbitants, et pas toujours justifiés à leurs yeux.

Le ministère de la Santé, avec son armada de directeurs généraux, de directeurs, de sous-directeurs, de chefs de division, tout comme avec ses directions régionales et les nombreux établissements sous sa tutelle, la Pharmacie centrale, la Caisse d’assurance maladie…, se doit de consacrer du temps tous les quinze jours pour s’adresser à l’opinion publique à travers les médias. 

Puisse ce bref triste mais objectif tableau donner l’occasion au ministère de la Santé de se réveiller de sa torpeur et d’assumer son rôle dans le développement du pays. Il doit pour cela se réorganiser, entreprendre une réforme  profonde, organiser des conclaves avec toutes les parties concernées pour préparer une sérieuse réforme du secteur.

Il doit mettre un peu d’ordre dans ces dossiers, sortir des sentiers battus, traiter avec plus de considération les citoyens, aux ordres des médecins et des pharmaciens et aux organismes qui encadrent les autres professionnels de la santé et les impliquer étroitement aux réformes.

Les Tunisiens qui ressentent depuis une dizaine d’années beaucoup de frustrations  concernant leur santé, de plus en plus éprouvés par un environnement de vie très exigeant attendent aujourd’hui de voir l’État se remette en question et prendre en charge ce dossier vital dont dépend leur bien être physique et moral… et qui conditionne largement le devenir de leur pays.

Il est donc temps de lancer les chantiers pour une réforme profonde du secteur de la santé dans tous ses aspects, car il ne souffre plus aujourd’hui aucun report supplémentaire !

A bon entendeur.

* Ancien ambassadeur.

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