Tunisie : Malek Ezzahi ou le degré zéro de la communication politique

A chacune de ses sorties médiatiques, le ministre des Affaires sociales, Malek Ezzahi, nous offre un échantillon de la langue de bois officielle à la Tunisienne qui finit par ne rien dire à personne et se transformer à un bruit de fond presque inaudible.  

Par Imed Bahri

Dans une déclaration aux médias, lundi 24 octobre 2022, Malek Ezzahi a cru devoir noyer les récentes déclarations de Kristalina Georgieva, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), sur les conditions du prêt accordé à la Tunisie, dans un écran de fumée.

Le Conseil national du dialogue social examinera la situation des entreprises publiques au cas par cas, dans le but de préserver leur pérennité, qui est «une condition essentielle pour les prochaines réformes», a-t-il indiqué, croyant ainsi démentir la déclaration de Mme Giorgieva selon laquelle la Tunisie s’apprête, dans le cadre de son programme de réformes structurelles, à privatiser certaines entreprises publiques.

Pourquoi ne pas le dire plus clairement ?

En fait, l’expression «au cas par cas» souvent utilisée par les membres du gouvernement pour noyer le poisson ne signifie pas qu’il n’y aura pas de privatisation, mais qu’il y en aura sans aucun doute, mais ce sera «au cas par cas», ce qui est dans l’ordre des choses, sachant qu’il ne s’est jamais agi de privatiser TOUTES les entreprises publiques, mais celles qui opèrent dans des secteurs concurrentiels. Autant donc le dire plus clairement et ne pas chercher à retarder l’échéance d’un débat qui va sans doute s’imposer bientôt sur l’opportunité, l’urgence, les conditions et les bénéfices attendues des opérations de privatisation à venir.

M. Ezzahi a aussi déclaré que «la situation économique actuelle nécessite la mise en œuvre de réformes», tout en s’empressant d’ajouter que «le gouvernement n’enfreindra pas les droits des travailleurs», croyant ainsi rouler l’opinion publique dans la farine. Car il est bien placé pour savoir que lesdites réformes, ô combien nécessaires selon ses mots, auront forcément un coût social et que, de toute façon, les entreprises publiques sont dans leur écrasante majorité déficitaires et grèvent lourdement le budget de l’Etat. Qu’il s’agisse donc de les assainir, de les restructurer ou de les privatiser, elles vont toutes devoir se délester d’un certain nombre de leurs employés en sureffectifs, de revoir à la baisse certains salaires d’autant plus injustifiés qu’ils sont exorbitants, de réformer leurs modes de gouvernance obsolètes à tous les niveaux.

On retiendra cependant à ce propos l’engagement de M. Ezzahi selon lequel tout cela se fera dans le respect des «droits des travailleurs», sans trop y croire vraiment, en espérant que le père Noël sera là lorsque les opérations d’assainissement, de restructuration ou de privatisation commenceront.

Privatisation, suppression des subventions, etc.

On sait toutefois que le président de la république Kaïs Saïed pourrait changer le gouvernement au lendemain des législatives anticipées du 17 décembre prochain, que M. Ezzahi et beaucoup de ses collègues pourraient partir et que ce seront leurs remplaçants qui auront à ramasser les pots cassés et à faire face à la grogne à venir, et qui gronde déjà au sein de la centrale syndicale.

Et à ce propos, M. Ezzahi a aussi assuré que «le dialogue se poursuivra avec tous les partenaires sociaux afin de réexaminer la question des subventions» des produits de première nécessité, autre pierre d’achoppement dans le débat sur les réformes économiques que le gouvernement est dans l’obligation non pas seulement de mettre en œuvre mais aussi de réussir.

Dans ce contexte, le gouvernement n’aime pas appeler la «suppression des subventions» par leur nom et préfère recourir à une sorte de leurre discursif en parlant de «faire parvenir les subventions à ceux qui les méritent», c’est-à-dire les couches les plus démunies de la société. Il va sans dire que les salariés, même ceux qui ont de faibles revenus vont devoir bientôt payer la baguette et le litre d’essence plein pot.

Mais tout cela, bien sûr, n’est pas dit clairement, et l’on se demande pourquoi retarde-t-on le moment de vérité pour les citoyens qui, eux, vont devoir subir de plein fouet le retour de manivelle des réformes envisagées.

Il faut dire que face aux réalités d’aujourd’hui, M. Ezzahi préfère faire d’improbables promesses pour demain : «Le gouvernement va déployer de nouveaux mécanismes pour faire face aux crises dans le but de fournir un travail décent aux salariés et aux demandeurs d’emploi», a-t-il déclaré, et parmi ces mécanismes, il a évoqué la création d’un fonds accordant des allocations aux travailleurs licenciés et un autre pour financer les initiatives des diplômés chômeurs. Deux promesses qui n’engagent, cela va de soi, que ceux qui commettront l’outrecuidance d’y croire. Car il faut être vraiment naïf pour croire qu’un gouvernement aux finances exsangues pourrait payer des primes de chômage.

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