Tunisie : pourquoi (et sous quelles conditions) l’UGTT doit-elle accepter les réformes économiques ?

La Tunisie traverse aujourd’hui l’une des plus graves crises de son histoire et ce ne sont pas les surenchères auxquelles se livrent les différents protagonistes de la scène politique qui vont l’aider à s’en sortir. Mais c’est au pouvoir central de faire le premier pas, en changeant la politique de cavalier seul qu’il poursuit jusque-là et en tendant la main aux autres parties concernées, car le fardeau doit être partagé par tous et des sacrifices sont inévitables.    

Par Ridha Kefi

A quoi joue exactement Noureddine Taboubi, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui fait semblant de s’opposer aux réformes économiques que le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre auprès de ses bailleurs de fonds ? Or il sait, et le gouvernement sait, et tous les Tunisiens savent aussi que ces réformes sont nécessaires quel qu’en soit le coût.    

Ne pouvant assumer au regard de sa base la responsabilité de réformes qu’il avait longtemps contestées, tout en sachant qu’elles sont de toute façon inévitables, M. Taboubi fait monter les enchères, conforté dans sa démarche puérile par la lâcheté d’un gouvernement qui croit pouvoir continuer à cacher son jeu et à berner son monde.  

L’UGTT s’agite vainement  

Réagissant, lundi 24 octobre 2022, à la récente déclaration de Kristalina Georgieva, directrice générale du Fons monétaire international (FMI) selon laquelle le gouvernement tunisien s’apprête à privatiser certaines entreprises publiques, le dirigeant syndical est remonté au créneau pour demander au gouvernement de dévoiler le programme qu’il a présenté au FMI pour obtenir un crédit de 1,9 milliard de dollars. «Lorsque l’UGTT a demandé une copie de ce programme, le ministre des Finances, Sihem Nemsia, a déclaré que le gouvernement n’avait pas encore présenté de programme détaillé au FMI», a-t-il déclaré, comme si le fait qu’il ait été informé (ou pas) de ce programme pouvait changer quoi que ce soit à la donne.

Oui, l’organisation syndicale n’a pas pris connaissance officiellement du programme des réformes présenté par le gouvernement au FMI et ne pouvait donc l’entériner. Mais elle ne peut affirmer qu’elle en ignore le contenu, du moins dans ses grandes lignes, sur lesquelles les responsables et les experts indépendants se sont déjà largement exprimés.

Oui, et c’est un autre secret de polichinelle, l’UGTT refuse la privatisation des entreprises d’Etat et la suppression des subventions. Elle refuse aussi toute mesure visant à réduire le déficit budgétaire de l’Etat, comme la réduction de la masse salariale de la fonction publique ou l’arrêt des recrutements dans certains secteurs souffrant déjà de sureffectifs. Mais ses refus changeraient-ils grand-chose à l’affaire ?

Non bien sûr, l’UGTT pourra continuer à faire les seules choses qu’elle sait faire : déclencher des grèves tournantes dans les secteurs où elle recrute l’essentiel de ses adhérents; faire pression sur le gouvernement en exigeant des augmentations salariales et des améliorations des conditions générales du travail dans les secteurs sensibles (éducation, santé, transport…); multiplier des déclarations de guerre contre le gouvernement dans les médias en désolidarisant de toutes les mesures qu’il prendrait et qui s’inscrirait dans le programme des réformes… Mais tout cela mènera où ?

L’UGTT sait que la marge de manœuvre du gouvernement est très faible, d’abord vis-à-vis de ses bailleurs de fonds, et ensuite vis-à-vis des revendications sociales à l’intérieur du pays, et que la surenchère à laquelle elle s’adonnera de temps en temps pour exister au regard de ses bases n’aura pas d’impact sur les décisions futures d’un gouvernement qui a le dos au mur. Ce sera au mieux une vaine agitation qui lassera les citoyens, y compris ses propres adhérents, et se retournera, à terme, contre l’organisation syndicale, laquelle pourra jouer un rôle plus constructif en se mettant au service de la nation dans cette phase cruciale pour l’aider à sortir de la crise.

Les sacrifices collectifs sont inévitables

Pour cela, il n’y a pas trente-six mille solutions : l’UGTT doit accepter, ne fut-ce que du bout des lèvres, le programme des réformes sur lequel le gouvernement s’est engagé avec les bailleurs de fonds.

Ce sera là le prélude à l’ouverture d’un dialogue franc et cartes sur table avec tous les autres protagonistes de la scène politique et économique pour élaborer ensemble des mesures d’accompagnement qui atténueraient l’impact desdites réformes sur les catégories les plus démunies de la population (pauvres, chômeurs, travailleurs précaires…); sur les salariés aux faibles revenus (car certaines catégories perçoivent d’énormes salaires et les augmentations systématiques seraient donc injustes); sur la qualité des services publics pour éviter qu’ils se détériorent davantage (santé, éducation, transport…); et sur le tissu économique en général et notamment les petites et moyennes entreprises dont dépendra, au final, toute reprise réelle de la machine de production et de création de richesses et d’emplois, en panne depuis 2011.  

La Tunisie traverse aujourd’hui l’une des plus graves crises de son histoire et ce ne sont pas les surenchères auxquelles se livrent les différents protagonistes qui vont l’aider à s’en sortir. Mais c’est au pouvoir central de faire le premier pas, en changeant la politique de cavalier seul qu’il poursuit jusque-là et en tendant la main aux autres parties concernées, car le fardeau doit être partagé par tous et des sacrifices sont inévitables.  

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