Fathia Saïdi : «Le populisme en Tunisie s’est construit sur le rejet des partis»

Le populisme est devenu un courant politique à part entière en Tunisie avec l’accession de Kaïs Saïed à la présidence de la république en 2019, mais il existait avant cette date, représenté par la Coalition Al-Karama, Abir Moussi et Nabil Karoui, dont les partis ont adopté le populisme comme moyen pour accéder au pouvoir.

C’est ce qu’a affirmé la sociologue Fathia Saïdi, dans une déclaration à Mosaïque, lors d’une rencontre à Tunis, mercredi 9 novembre 2022, sur le populisme en Tunisie, en insistant sur l’émergence de nombreux courants populistes au cours des dix dernières années, et particulièrement lors des périodes électorales, comme Al-Aridha Chaabia (Pétition populaire) à l’occasion de l’élection de l’assemblée constituante en 2011.

Cependant, il existe une grande différence entre tous ces courants populistes et celui incarné par le président Saïed qui a émergé lors des élections présidentielles de 2019.

Ce courant a ses propres mécanismes de fonctionnement, sa vision et sa perception particulière du pouvoir. Il a accompagné l’émergence d’un individu qui se présente comme un leader inspiré et inspirant avant de le porter à la présidence de la république, sans pour autant participer aux législatives organisées simultanément, car il rejette la démocratie parlementaire.

Fathia Saïdi a aussi indiqué que le populisme apparaît généralement dans les sociétés qui connaissent des crises, qu’elles soient politiques, économiques, financières ou sociales, ajoutant que ce courant a remplacé l’acteur politique traditionnel, souvent adossé à un parti ou à un mouvement.

Le courant populiste a progressivement émergé en Tunisie depuis 2011 avec les théorisations des Forces de la Tunisie libre, qui parlaient de la démocratie de base (en arabe «democratia qaïdia»). Il s’est développé rapidement au point que son dirigeant officieux, Kaïs Saïed en l’occurrence, était prêt à participer à la présidentielle de 2014, mais il a préféré ne pas se présenter, estimant que la société tunisienne était divisée entre les partisans de Nidaa Tounes et ceux d’Ennahdha et que feu Beji Caïd Essebsi était donné gagnant par tous les sondages. Aussi, a-t-il préféré ronger son frein pour se présenter aux élections de 2019, qu’il a finalement remportées.

Entretemps, la partie de la société qui rejette les partis s’était préparée à de nouvelles formes de pratique politique représentées par les coordinations (en arabe «tansiqiyat»), la construction à la base (en arabe «al-binaa al-qaidi») et, sur le plan économique, la rente basée sur les entreprises communautaires (en arabe «charikat ahliya»), a encore expliqué Fathia Saïdi, ajoutant que, sur le plan du discours, le courant populiste repose sur une «stratégie rhétorique» mêlant les concepts de l’extrême droite et de l’extrême gauche, ce qui a conduit à l’instauration d’un populisme à la fois de droite, de gauche, conservateur et réactionnel, qu’on ne peut approcher par les instruments traditionnels de l’analyse socio-politique.

La chercheuse en sociologie a enfin indiqué que la Tunisie traverse actuellement une crise de l’action politique, conséquence de l’échec de la transition démocratique au cours de la dernière décennie, en raison de l’incapacité des acteurs politiques à exprimer les aspirations de la majorité.

I. B.

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