Tunisie : Kaïs Saïed, Najla Bouden et la «normalisation» avec Israël  

L’échange d’amabilités et de sourires entre notre Première ministre Najla Bouden et le président israélien Isaac Herzog en marge de la COP27 à Charm El-Cheikh en Egypte continue de susciter les commentaires les plus divers, notamment en Tunisie, où la «normalisation» des relations avec Israël représente une ligne rouge pour une bonne partie de la scène politique tunisienne, y compris le président de la république Kaïs Saïed.

Par Imed Bahri

Dans un commentaire publié sur sa page Facebook, jeudi 10 novembre 2022, l’ancien ambassadeur Elyes Kasri se montre perplexe voire sceptique, d’autant qu’il n’y a pas eu de réaction officielle tunisienne à propos de cet échange et que cette ambiguïté de notre position officielle sur la question de la «normalisation» avec Israël laisse trop de points d’interrogation, ce qui n’aide ni les Tunisiens ni leurs partenaires étrangers à déchiffrer cette position.

«L’échange d’amabilités et de sourires dépassant les limites de la courtoisie entre les dirigeants de pays n’entretenant pas de relations diplomatiques, en raison d’un contentieux érigé en dogme moral et patriotique par la direction d’un des deux pays, suscite inévitablement des interrogations», fait remarquer Elyes Kasri.

Incohérence ou double jeu ?  

«Au-delà du débat sur les conditions, les modalités et le timing approprié d’une éventuelle normalisation avec l’État d’Israël, la question qui se pose est celle du décalage entre le comportement de la première ministre Bouden à la COP27 et la position tranchée et sans nuance du président de la république sur la normalisation avec l’Etat d’Israël qu’il assimile, avec véhémence, à une haute trahison», ajoute le diplomate, d’autant que la diplomatie, si elle peut jouer parfois sur l’ambiguïté des positions, préfère plutôt la clarté, qui seule peut aider à construire des relations stables et durables entre les Etats.

Or, la Tunisie, qui est visiblement très gênée aux entournures dès qu’il s’agit de ses relations avec l’Etat hébreu, continue de sacrifier, non pas seulement à l’ambiguïté, mais aussi à la simulation, à la duplicité et aux effets de manche : pour l’opinion publique nationale, que l’on méprise, on condamne avec véhémence la «normalisation» avec Israël et, pour l’opinion publique internationale, à laquelle on cherche toujours à plaire, on fait des clins d’œil appuyés à l’Etat hébreu. Or, dans ce jeu malsain, on finit toujours par être démasqué, et à vouloir gagner sur tous les tableaux, le risque est grand de perdre aussi sur tous les tableaux.

C’est ce qui fait dire à Elyes Kasri que «l’échange d’amabilités à Charm El-Cheikh à l’occasion de la COP27 entre la première ministre Bouden et le président israélien Herzog est soit un excès de politesse frisant le faux pas ou l’illustration d’un partage de rôles du côté tunisien à l’instar du discours populiste du président Kaïs Saïed et les tractations du gouvernement avec le FMI sur un programme de réformes ultra libérales.»

Une apparente familiarité

D’où le besoin d’explications et de clarifications que les Tunisiens, autant que leurs partenaires étrangers, sont en droit d’exiger de Carthage et de la Kasbah, qui ne sauraient continuer à jouer ainsi deux partitions complètement dissonantes, avec au bout la cacophonie qui caractérise actuellement la politique extérieure du pays, laquelle manque terriblement de cohérence et de lisibilité.

S’il n’exclue pas la bonne foi de la Première ministre tunisienne, l’ancien ambassadeur au Japon et en Allemagne estime que «le peuple tunisien a néanmoins le droit d’être informé sur la teneur de l’échange entre Mme Bouden et le président israélien Herzog et ce qui a motivé et pourrait éventuellement cacher cette apparence de familiarité».

Cette «familiarité», qui a du reste choqué beaucoup de Tunisiens, semble avoir laissé de marbre le président Saïed, un antisioniste notoire, dont les alliés nationalistes arabes ont attendu, à juste titre, une réaction outrée. Certains d’entre eux ont même espéré un limogeage illico presto de Mme Bouden, mais vainement jusque-là.

Est-ce à dire que l’échange d’amabilités (à supposer qu’il s’était arrêté à cela, ce dont on peut aussi douter) entre Bouden et Herzog n’était pas si spontané et si anodin que cela et qu’il s’inscrit plutôt dans un revirement en cours dans l’attitude de la Tunisie à l’égard d’Israël ? Auquel cas, M. Saïed autant que Mme Bouden nous doivent des explications.  

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