Le roi Abdallah de Jordanie apparaît aujourd’hui comme un chef d’Etat moderne, modéré, dynamique, pragmatique et très ancré dans son époque et dans la réalité de son pays, de sa région et de notre monde. Il est le contraire même du dirigeant baignant dans l’utopisme, le populisme et le discours idéologique, dogmatique et bourré de slogans creux.
Par Chedly Mamoghli *
Il ne m’est pas facile d’admirer les personnes (personnalités ou personnes lambda) et encore plus de considérer quelqu’un comme un modèle mais cet homme, je l’apprécie beaucoup. Moderne, modéré, dynamique, pragmatique et très ancré dans son époque et dans la réalité de son pays, de sa région et de notre monde. Il est le contraire même du dirigeant baignant dans l’utopisme, le populisme et le discours idéologique, dogmatique et bourré de slogans creux.
À la sortie de la pandémie, il a chargé deux commissions de préparer respectivement un projet de modernisation et de réformes du système politique et une vision économique. Les deux commissions ayant rendu leurs travaux, l’heure de l’application a commencé.
Passer du tribalisme à la citoyenneté
Dimanche 13 novembre 2022, lors du discours annuel du Trône devant le Parlement (rassemblant les deux chambres, la Jordanie a un Parlement bicaméral), il a déclaré: «La vision de la modernisation économique est contraignante pour les gouvernements et sera le critère d’évaluation de leur rendement». Cette vision économique s’articule autour de 8 moteurs, 300 initiatives et concerne 35 secteurs et sous-secteurs. Elle concerne tous les domaines (agriculture, industrie et service) mais se distingue par la place de choix laissée à la promotion des différentes industries. Cette vision a trois objectifs: la croissance économique, la qualité de la vie et le développement durable.
Sur le plan politique, la commission de modernisation et des réformes politiques avait essentiellement pour but de doter le pays d’une vie politique moderne et de lui permettre de basculer d’un modèle tribal (la Jordanie est une société tribale où les gens élisent lors des législatives des candidats issus de leur tribu) à un modèle de citoyenneté favorisant les partis politiques où les citoyens élisent leur représentants issus de partis qui proposent des programmes concrets.
Le travail de cette commission s’est articulé autour de six axes et une sous-commission s’est chargée de l’élaboration des recommandations pour chaque axe. Les 6 sous-commissions chargées chacune d’un axe sont les suivantes: élections, partis, développement de la participation des jeunes, développement de la participation des femmes, administration locale et réformes constitutionnelles liées aux élections, aux partis et aux mécanismes du travail parlementaire.
Une refondation politique et économique
La Jordanie, sur le plan de la politique intérieure, vit au rythme de l’application des travaux de deux commissions. C’est l’étape de la refondation politique et économique.
Sur le plan de la politique étrangère, la diplomatie jordanienne conduite par le Roi se distingue par son grand dynamisme régional et international et par la concentration sur les enjeux politiques, économiques et sécuritaires de notre époque.
Il y a une semaine, Abdallah de Jordanie était à Sharm El-Sheikh pour la COP 27; ensuite il a été au Vatican (la Jordanie est un pays avec une importante diversité religieuse et ethnique, le lieu du baptême du Christ-Béthanie au-delà du Jourdain, se trouve en Jordanie et de plus, les lieux de culte sacrés de Jérusalem sont sous la protection du trône hachémite et il se démène pour les protéger). Après le Vatican, il s’est rendu à Londres. Il a été à la fois le premier chef d’État reçu par Charles III à Londres après les obsèques d’Elizabeth II du mois de septembre et le premier à rencontrer le tout nouveau Premier ministre britannique Rishi Sunak.
Fervent défenseur de la cause palestinienne
Autre exemple du pragmatisme du souverain hachémite, son discours lors de l’Assemblée générale des Nations Unies au mois de septembre dernier qui s’est articulé autour du réchauffement climatique avec ses conséquences comme le stress hydrique auquel son pays est fortement exposé et sur la crise alimentaire, véritable défi causé par la guerre russo-ukrainienne. Le statut de Jérusalem, la protection des lieux saints et les droits des Palestiniens ont été aussi au cœur de son discours.
Abdallah II dont l’épouse, la Reine Rania, est une Palestinienne est très investi dans la cause palestinienne mais sans discours idéologique et sans slogans grandiloquents, creux et ridicules. Il avait d’ailleurs catégoriquement refusé les Accords d’Abraham de Trump malgré toutes les pressions de la part de ce dernier et de son gendre Kushner et malgré certaines animosités régionales. Ce refus allait lui coûter son trône avec la tentative de coup d’État avorté en avril 2021.
La Jordanie se distingue également par le refus d’entrer dans la politique des axes. Amman a de bonnes relations aussi bien avec l’axe Ankara-Doha qu’avec celui de Riyad-Abou Dhabi-Le Caire et œuvre à la naissance d’une zone de libre échange arabe. Le pays qui a d’excellentes relations avec l’Occident et les États-Unis en particulier -surtout depuis le départ de Trump- entretient également d’excellentes relations avec la Russie de Poutine.
La rose du Moyen-Orient
La Jordanie, grâce à son roi, est un havre de paix bien qu’elle soit située au cœur d’une région dans l’œil du cyclone, avec un voisinage explosif, dans l’une des régions les plus instables et les plus complexes de la planète, sans ressources naturelles, en étant un Etat quasi-enclavé (avec pour seul accès à la mer, une ouverture restreinte sur le golfe d’Aqaba qui donne sur la mer Rouge).
La Jordanie est aussi un pays où deux idéologies dangereuses sont présentes et bien ancrées à savoir l’islamisme et le nationalisme arabe et comme toutes les idéologies, elles sont mortifères et suicidaires par leur aveuglement, leur dogmatisme et leur sectarisme.
En dépit de toutes ces difficultés, le roi Abdallah a su maintenir la stabilité de son pays et le préserver de la spirale infernale qui a emporté toute la région durant les deux dernières décennies dont les deux grands voisins que sont l’Irak et la Syrie avec les conséquences démographiques, sécuritaires et socio-économiques qui en résultent sur la Jordanie. Son règne est aussi marqué par des progrès considérables réalisés dans le domaine de l’éducation. La Jordanie demeure la rose du Moyen-Orient.
Régner dans cette région si particulière, préserver son pays et en faire une oasis de paix est tout sauf une partie de plaisir et relève de l’exploit. De plus, y être un homme moderne et un dirigeant modéré est vraiment rare. Pour toutes ces raisons, Abdallah de Jordanie force l’admiration et incarne un modèle pour tout dirigeant.
* Juriste.
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