Tunisie : L’Isie est-elle vraiment «indépendante» du président Saïed ?

Le problème de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), et qui jette une ombre sur les conditions générales dans lesquelles se déroule le processus des élections législatives du 17 décembre prochain, est que beaucoup de Tunisiens doutent de sa prétendue «indépendance». Et à juste titre…

Par Imed Bahri

Le fait que les membres du bureau directeur de l’Isie aient tous été choisis et nommés par décret par le président de la république Kaïs Saïed et que leurs décisions soient toutes conformes aux désidératas du chef de l’Etat, sinon totalement sourdes aux griefs exprimés par ses opposants, ne plaide pas pour cette «indépendance» que l’on est tenté de mettre entre guillemets afin d’être objectifs et honnêtes avec nos lecteurs.

Répondant aux accusations portées contre la commission électorale concernant son allégeance au président Kaïs Saïed, le vice-président de l’Isie, Maher Jedidi, a cru devoir affirmer, hier, lundi 28 novembre 2022, dans l’émission Matinale de Shems FM, que lui et ses camarades ne font pas de propagande pour le chef de l’Etat. Il ne resterait plus que cela, serions-nous tentés de répliquer à cette bien curieuse sortie !

Dans les limites fixées

La commission est indépendante, a-t-il souligné, ajoutant qu’elle est un organe de l’État, qu’elle opère dans le cadre de la loi et n’est affiliée à aucun parti politique. Elle est à l’écoute toutes les opinions et ouverte aux critiques et aux différents points de vue, a-t-il insisté, affirmations que, malheureusement, beaucoup de décisions de l’Isie contredisent, car celle-ci refuse de prendre en considération les griefs souvent exprimés par les partis politiques, les organisations de la société civiles et les analystes politiques, et poursuit son travail dans les limites qui lui ont été fixées par les décrets présidentiels relatifs au processus électoral, tout en étant sourde à certaines normes internationales dans ce domaine.

C’est ainsi, l’Isie n’a d’opinion sur rien; elle avale tout ce que lui a mâché et applique une loi régalienne, c’est tout, même si cette loi est imposée en dehors de tout débat politique. Et ça vous parle, après cela, d’«indépendance» ? Les membres de son bureau directeur se considèrent comme des agents de l’Etat sans conscience ni état d’âme, des techniciens qui exécutent, et s’exécutent au quart de tour, des sortes de robots en somme.

En affirmant que le jeu politique se passe hors des murs de la commission, et que celle-ci ne tombera pas dans le piège des conflits et des tensions politiciennes, Maher Jedidi ne dit, en réalité, qu’une partie de la vérité, car il oublie de préciser que les règles que suit scrupuleusement l’Isie ont toutes été dictées par le président de la république dans le cadre de la nouvelle constitution et de la nouvelle loi électorale promulguées par ses soins il y a seulement quelques semaines. Et le président, comme on le sait, n’est pas aussi «indépendant» et «impartial» qu’il est censé l’être, en tant que chef de l’Etat, puisqu’il a des partis-pris politiques clairs qu’il ne se prive d’ailleurs pas d’exprimer de manière tranchante, en désignant sans cesse ses opposants à la vindicte populaire.

Tout se déroule comme prévu

Par ailleurs, dire que le processus électoral se déroule dans les meilleures conditions jusqu’à présent, et qu’aucune infraction grave n’a été enregistrée au cours des quatre premiers jours de la campagne électorale ne trompe également personne, puisque tout se déroule comme prévu, réglé comme du papier à musique, dans un cadre imposé par une seule personne, le président Saïed en l’occurrence.

Quant à ceux qui participent au processus électoral en cours, ils sont uniquement ceux qui ont accepté le cadre institutionnel dans lequel les élections se déroulent, y ont adhéré activement et tentent de s’y positionner voire d’en tirer quelque profit pour eux-mêmes.

C’est, justement, cet entre-soi – exclusif et si peu démocratique – que les responsables de l’Isie refusent de voir et qui met en doute l’indépendance dont ils se gargarisent sans cesse sans parvenir à la faire admettre par ceux et celles qui ont une autre idée des élections démocratiques selon les normes internationalement reconnues.

Puisqu’on est en pleine Coupe du monde de football, cet entre-soi a un nom chez les accros du foot : c’est l’arbitrage maison. Et c’est l’impression que renvoient l’Isie et ses dirigeants à une grande partie de l’opinion à laquelle elle n’a laissé qu’une seule alternative : ne pas aller voter pour ne pas participer à ce qui ressemble à un simulacre d’élection.

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