Cela fait une vingtaine d’années que les autorités tunisiennes parlent du projet de port en eau profonde et de la zone logistique d’Enfidha, sans qu’on en voie ne fut-ce qu’un début de réalisation. Entre-temps, d’autres projets similaires ont vu le jour dans la région, comme Tanger Med, qui a changé le visage du Maroc. Et nous, nous en sommes encore aux inchallahs, aux invocations et aux baratins…
Par Imed Bahri
Au chapitres des invocations et des baratins, on citera l’insistance – ô combien pathétique ! – de la cheffe du gouvernement Najla Bouden, lors d’une séance de travail ministérielle tenue samedi 10 décembre 2022, au palais du gouvernement à la Kasbah, sur «l’importance du projet de port en eau profonde et de la zone logistique d’Enfidha et son impact sur le développement régional et la création d’emplois directs et indirects» (sic !), un projet dont les ministres de Ben Ali parlaient, presque dans les mêmes termes, depuis la fin des années 1990.
Ce n’est certes pas comme le TGV Bizerte-Ben Guerdane ou la Cité médicale de Kairouan ou encore les «milliers de milliards» d’argent spolié à redistribuer au peuple, à l’évocation desquels le président de la république Kaïs Saïed fait saliver certains Tunisiens qui n’ont pas les pieds sur terre. Mais c’est tout comme : on parle de quelque chose qui n’existe pas et qui, à l’instant où l’on en parle, a peu de chance d’exister ! Cela s’appelle prendre ses rêves pour des réalités ou se bercer d’illusions. Il paraît que cela fait du bien à certains !
Un serpent de mer
Au cours de ladite réunion de travail, consacrée à l’examen d’un certain nombre de projets publics dans le domaine des transports et des infrastructures, Mme Bouden nous a rappelés, au cas où l’on aurait oublié, que le projet de port en eau profonde d’Enfidha «contribuera au rayonnement des régions de l’intérieur, au développement des échanges avec l’espace méditerranéen et vers le continent africain et à l’amélioration des indicateurs économiques et du taux de croissance», selon le communiqué du Premier ministère.
«La rencontre a également permis d’échanger sur l’état d’avancement du projet et les objectifs stratégiques de l’Etat dans le domaine des transports en vue de répondre aux besoins économiques, sociaux et du commerce extérieur pour favoriser l’attraction des investissements nationaux et étrangers», ajoute le communiqué, sans donner d’aperçu concret sur ce qui est qualifié d’«état d’avancement du projet», sachant qu’il est encore, en grande partie, dans les cartons.
Au lieu de nous faire miroiter des projets faramineux dont on est dans l’incapacité d’accélérer le processus de réalisation, comme celui de port en eau profonde d’Enfidha (on en reparlera, inchallah, dans une vingtaine d’années !), Mme Bouden aurait été mieux inspirée de porter toute son attention et celle de son gouvernement sur le port de Radès, le poumon économique du pays, qui est gangrené par la corruption, malmené par la bureaucratie et transformé par les mafias de toutes sortes en un véritable frein pour les activités commerciales.
Un nid de vipères
Rappelons, à ce propos, que tous les prédécesseurs de Mme Bouden depuis 2011, de Hamadi Jebali à Hichem Mechichi, en passant par Ali Larayedh, Mehdi Jomaa, Habib Essid, Youssef Chahed et Elyes Fakhfakh, se sont mesurés, avec plus ou moins de détermination, à ces mafias, mais sans beaucoup de succès.
Des pays amis, comme les Etats-Unis, ont même accordé à la Tunisie des aides financières importantes pour soutenir ses programmes visant à réformer le port de Radès, à l’assainir, à l’équiper et à le mettre au diapason des activités logistiques dans le monde, mais notre pays s’est montré jusque-là incapable d’agir concrètement en ce sens, de sorte que l’argent accordé est resté, à ce jour, dans les caisses des donateurs. C’est à peine croyable. Mais c’est la vérité. Pathétique, direz-vous ? Désespérant, sommes-nous tentés d’ajouter.
Quant au président de la république Kaïs Saïed qui, à la faveur de la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, a accaparé la totalité des pouvoirs dans le pays, y compris le législatif et le judiciaire, et qui ne cesse de nous rebattre les oreilles avec sa supposée guerre contre la corruption, on aurait souhaité le voir s’attaquer sérieusement à ce véritable «nid de vipères» qu’est le port de Radès, mais en vain, puisqu’au terme des trois premières années de son mandat, on ne l’a jamais entendu en parler.
Simple oubli, l’économie ne faisant pas partie de ses principales préoccupations, ou omission délibérée pour ne pas courir le risque de perdre la face en échouant, lui aussi, sur ce dossier, comme sur tous les autres auxquels il s’était attaqué jusque-là ? On laissera aux lecteurs le soin de répondre à cette question…
Donnez votre avis