Tunisie : une mascarade électorale et après ?

La Tunisie n’a pas besoin d’un autre «guide» illuminé. Elle a besoin d’un gouvernement de salut national (et non d’unité nationale, exit les politiques !), soutenu par le peuple, et qui s’attèlerait, dans un délai raisonnable de deux ou trois ans, à relancer l’économie, à amender la constitution de 1959 et à organiser des élections présidentielles et législatives dans la sérénité et la paix. Entretemps, les partis auront fait leur autocritique, élaboré de vrais programmes et revu leurs méthodes de travail pour redorer leur blason aux yeux des électeurs.

Par Mounir Chebil *

Alors que, le 17 décembre 2022, la finale de la Coupe du monde de football n’était pas encore jouée, nous avions déjà, nous autres Tunisiens, réalisé un exploit mondial inédit : 800 000 voix seulement se sont exprimées, ce jour-là, sur 9 millions d’électeurs inscrits, soit un taux d’abstention de 92% à des élections législatives. Le djinn de la lampe magique d’Aladdin a, certes, rajouté 200 000 voix, et Farouk Bouasker, le chef du machin des élections, a cru atténuer le sentiment de honte ayant gagné les hauts responsables de l’Etat en déclarant, deux jours après, que le taux de participation s’était en fin de compte établi à 11,22%. Le ridicule ne tue plus dans ce pays?

Dans un pays où la brouette confisquée d’un marchand ambulant, un certain 17 décembre 2010, est devenue le symbole d’une cauchemardesque «révolution» qu’on commémore annuellement en grande pompe, il est tout à fait logique de finir par assister aux plus sinistres parodies d’élections pour des démocraties d’opérette.

Deux gifles magistrales

La dernière des ces parodies était planifiée et organisée par un metteur en scène appelé Kaïs Saïed, à qui la déplorable cacophonie actuelle en Tunisie doit beaucoup.

Deux gifles magistrales ne l’ont pas fait quitter sa tour d’ivoire. D’abord, la soi-disant consultation nationale qui, avec toutes les manipulations que l’on imagine, a suscité l’intérêt de 500 000 personnes dans un pays qui en compte plus de 12 millions. Ensuite, le référendum sur la constitution qu’il a taillée à sa mesure et qui n’a reçu l’adhésion que de 25% du corps électoral. Mais ce n’était pas suffisant pour calmer l’ardeur «révolutionnaire» de M. Saïed, un «révolutionnaire» de la 25e heure. Se croyant porteur d’un message pour l’humanité entière, il a continué d’avancer tête baissée et crut même, un moment, gagner à sa cause Joe Biden, le président de la première puissance mondiale.

Au peuple qui demandait du pain, du sucre, du lait et des médicaments, l’illuminé de Mnihla a proposé des élections législatives dont il est le seul à saisir l’urgence. Mais contrairement au peuple français, qui a rejeté les brioches de la reine Marie Antoinette, épouse de Louis XVI, et préféré faire sa révolution, le peuple tunisien, lui, a dit non à la «révolution» de M. Saïed et préféré, en ce mémorable 17 décembre, faire la queue pour un pain, 100g de sucre et un litre de lait.

Résultat des courses : 92% des électeurs ne sont pas allés aux urnes pour voter. Ainsi, opposant ainsi une fin de non recevoir à des candidats de pacotille défendant, moins par conviction que par opportunisme, un projet sentant la naphtaline, inspiré des chimères utopistes du 19e siècle.

Que veut le peuple ?

Comme tous les peuples du monde, le peuple tunisien est attaché avant tout à son mode de vie et à ses moyens de subsistance, le reste n’est pour lui qu’un luxe superflu et inutile.

Lors des dernières élections législatives aux Etats-Unis, Joe Biden a perdu celles de la chambre des représentants. Les Américains l’ont sanctionné pour ses résultats mitigés dans la gestion de la pandémie du Covid et de ses conséquences sociales.

Au Royaume-Uni, Boris Johnson a été déchu et le Parti conservateur est actuellement chancelant à cause de la détérioration du niveau de vie des Britanniques.

En France, Emmanuel Macron n’a plus de majorité à l’assemblée pour n’avoir pas su empêcher l’aggravation de la situation sociale des Français.

En Tunisie, la situation est pire. Le pays est au fond du gouffre. Au lieu d’essayer de le faire remonter, M. Saïed creuse pour l’y enfoncer encore plus. Plus de trois années d’échecs même dans la rédaction d’une constitution et d’un code électoral. Trois années au cours desquelles la situation économique, politique et sociale s’est beaucoup détériorée, mais le peuple a continué à donner le préjugé favorable à un président qui prétend l’aimer, jusqu’au jour où il a ouvert les yeux sur l’ampleur de la catastrophe et a exprimé sa colère, mais de manière calme et civilisée, en votant par les pieds, refusant de cautionner des élections qui n’ont qu’un seul objectif : faire élire un parlement aux ordres en vie d’avaliser un système de gouvernance autoritaire, incompétent et chaotique.

En principe, et selon la théorie chère à M. Saïed, établissant une différence entre la légalité et la légitimité, on peut dire que, même si ces élections ont un brin de légalité, elles n’en seraient pas moins illégitimes. Car 8,8% des électeurs inscrits ne confèreraient pas de légitimité à une parodie d’élection.

Il ne faut cependant pas s’attendre à ce que M. Saïed annonce l’annulation des résultats des dernières législatives. Il refusera d’entendre la voix du peuple pour ne pas avoir à admettre qu’il n’a plus lui-même aucun crédit ni aucune légitimité. Tout au plus jettera-t-il son gouvernement en pâture pour lui faire assumer la responsabilité de ses propres déboires. Mais, un nouveau gouvernement désigné par M. Saïed ne peut être qu’à l’image de ceux qui l’ont précédé. Quand le capitaine est suicidaire, l’équipage ne peut empêcher le bateau de couler, à moins de déclencher une mutinerie. Or, M. Saïed ne désignera jamais des mutins et les douillets fauteuils ministériels convaincront toujours des impotents qui cherchent à se la couler douce. D’ailleurs, les opportunistes ne manquent pas dans ce pays. Et ils prospèrent sous la dictature.  

Un gouvernement de salut national

Il faut se mettre à l’évidence que M. Saïed n’a qu’une idée en tête, réaliser son utopie de la démocratie participative, fondée sur la représentation locale à tous les niveaux ainsi que sur la chimère des «charikat ahliya» ou sociétés citoyennes, des parasites qu’il compte mettre en place au détriment des agents économiques créateurs de richesses et d’emplois. Pour cela, il s’accrochera à son poste où il se veut maître absolu, même s’il doit décréter la présidence à vie. Ceux qui espèrent le voir s’ouvrir au dialogue et faire des concessions à ses adversaires comprendront bientôt qu’ils se gourent.

Cela dit, détrompons-nous, l’abstention record qui a marqué les législatives du 17 décembre n’est pas à mettre au crédit du panier à crabes du Front de salut national (FSN), ni des gesticulations clownesques d’Abir Moussi, ni des cris d’orfraie des partis d’opposition que les Tunisiens ont vomis autant sinon plus que M. Saïed lui-même.

Cette abstention historique est l’expression d’un désaveu de toute la classe politique exprimé par plusieurs millions de Tunisiens, et c’est à ces derniers d’empêcher l’installation des nouveaux «élus» dans l’hémicycle du Bardo et d’obliger M. Saïed à démissionner, qu’il fasse ou non un remaniement ministériel.

La Tunisie n’a pas besoin d’un autre «guide» illuminé. Elle a besoin d’un gouvernement de salut national (et non d’unité nationale, exit les politiques !), soutenu par le peuple, et qui s’attèlerait, dans un délai raisonnable de deux ou trois ans, à relancer l’économie, à amender la constitution de 1959 et à organiser des élections présidentielles et législatives dans la sérénité et la paix. Entretemps, les partis auront fait leur autocritique, élaboré de vrais programmes et revu leurs méthodes de travail pour redorer leur blason aux yeux des électeurs.

Aimons ce pays et évitons-lui le scénario libanais ou soudanais ou libyen ou somalien ou haïtien… 

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