On avait en Tunisie une filière viande et lait qui subvenait, bon an mal an, aux besoins du pays. Mais l’Etat n’a rien fait pour la protéger en venant en aide aux éleveurs et aux producteurs. Au contraire, il fait tout pour la détruire, notamment en incitant l’importation du lait en poudre et du beurre.
Par Imed Bahri
En effet, l’article 21 de la loi de finances de l’année 2023 prévoit l’annulation des taxes sur l’importation du lait en poudre et du beurre, une mesure que le gouvernement juge nécessaire pour approvisionner le marché laitier, suite aux demandes des agriculteurs d’augmenter le prix du lait frais.
Cette mesure intervient quelques jours après l’appel lancé par le président de la Chambre nationale syndicale des collecteurs du lait, Hamda Aifi, au président de la république, Kaïs Saïed, pour organiser une réunion de haut niveau qui rassemble les différents acteurs de la filière laitière pour discuter de son avenir, favoriser sa durabilité et éviter son effondrement.
Hausse des coûts de production
Les quantités de lait collectées sont estimées à 1,4 million de litres par jour alors que la consommation quotidienne moyenne est d’environ 1,8 million de litres par jour, soit un déficit d’environ 400 000 litres et a conduit à un état de pénurie au niveau des magasins de détail, incitant les agriculteurs à exiger une augmentation des prix, d’autant que les coûts de production se sont accrus, en raison notamment de la hausse des prix des aliments pour animaux sur le marché mondial.
La Tunisie couvre le déficit à partir du stock de réserve stratégique de lait, qui est actuellement estimé à environ 5 millions de litres, contre environ 40 millions de litres à la même période de 2021, et le cheptel a diminué à 417 000 têtes de vaches laitières locales et de race pure, contre 458 000 en 2016.
Il convient de rappeler, dans ce contexte, que l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) a insisté, dans communiqué publié le 17 novembre dernier, sur la nécessité que la hausse du prix du litre de lait à la production soit supérieure à 0,6 dinar, tout en rappelant que le coût de production du litre dépasse 1,65 dinar, alors que le prix alloué au producteur n’est que de 1,14 dinar. Or, si cette situation se poursuit, le pays risque de perdre l’ensemble de son cheptel de vaches laitières, a prévenu l’organisation dans un communiqué signé par son président Noureddine Ben Ayed.
Ces cris d’alarme sont lancés depuis plusieurs mois, sans que le gouvernement n’y prête la moindre attention, alors que la pénurie de lait s’aggravait dans le pays et que les rayons des supermarchés se vidaient, poussant le président Saïed à rendre visite récemment à l’usine de l’un des plus importants groupes de l’industrie laitière pour parler, non pas d’aide aux éleveurs pour sauvegarder une filière stratégique en difficulté, mais de… spéculation qu’il est parmi les rares personnes à observer dans le pays.
Une décision incohérente
Et voilà que maintenant, pour mieux «casser» le dispositif de production et désespérer les éleveurs, qui sont nombreux à vendre leur cheptel et à mettre fin à une activité devenue peu rentable pour eux, l’Etat décide d’encourager l’importation du lait en poudre et du beurre. C’est comme si on pense guérir un patient souffrant du cancer en lui faisant avaler un comprimé d’aspirine: ça calme momentanément la douleur mais ne guérit pas.
C’est également une solution de facilité, qui plus est, complètement incohérente, surréaliste et irresponsable, d’autant plus que l’Etat fait face à une grave crise financière, que le déficit de sa balance commerciale enregistre des pics astronomiques, et que ses réserves en devises fondent comme neige au soleil et atteignent le seuil critique de 98 jours d’importations.
N’aurait-il pas été plus logique et plus rentable, si on l’avait fait suffisamment à l’avance, d’augmenter momentanément le prix du lait à la production pour encourager les éleveurs à reconstituer leur cheptel, accroître leur production, aider à reconstituer le stock stratégique et sauver la filière lait et viande, essentielle pour la sécurité alimentaire du pays?
Pourquoi a-t-on attendu si longtemps avant de réagir aux difficultés de la filière, et, pis encore, prendre des décisions complètement incohérentes ? Cela s’appelle mauvaise gouvernance, qui est pire que la spéculation et la corruption dont M. Saïed ne cesse de nous rebattre les oreilles, sans rien faire de concret pour les combattre…
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