Tunisie : Kaïs Saïed promet le décollage imminent !

Pour Kaïs Saïed, les trois premières années de son mandat, au cours desquelles il a accumulé les échecs, sont passés par pertes et profits. C’est à partir de maintenant, alors qu’il a imposé sa mainmise totale sur le pays, qu’il promet le décollage imminent, alors que ses opposants retiennent leur souffle en attendant l’inévitable crash…

Par Ridha Kefi

Dans son allocution télévisée du samedi 31 décembre 2022, Kaïs Saïed a, une fois n’est pas coutume, fait un grand effort sur lui-même pour ne pas engueuler les Tunisiens et les accuser d’être eux-mêmes la cause de leurs propres malheurs.

Adressant un message de vœux aux Tunisiens, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, à l’occasion du nouvel an, le président de la république leur a souhaité une bonne et heureuse année, marquée par la prospérité, la consécration de la justice et la préservation des droits humains… sachant que, sur le plan socio-économique, 2023 sera, de l’avis de tous les analystes, l’une des plus difficiles que le pays ait connues depuis une dizaine d’années.  

Se retrousser les manches

«A cette occasion, plutôt que d’évoquer les événements passés et ce malgré que leurs répercussions sont toujours présentes, nous devons retrousser les manches pour surmonter toutes les difficultés engendrées par la pandémie, les grandes mutations internationales et le nouveau contexte mondial dont la Tunisie refuse d’être l’une des victimes», a déclaré le président Saïed qui, pour la première fois depuis le début de son mandat il y a trois ans, parle de travail et appelle les citoyens à «retrousser les manches».

Parlant des difficultés intérieures, Saïed n’a pas résisté à la tentation d’affirmer, encore une fois, qu’elles sont «pour la plupart provoquées», invoquant ainsi la fameuse main secrète des manipulateurs, des comploteurs, des spéculateurs et des traitres à la nation, d’illustres inconnus jamais nommés… qu’il ne pouvait tout de même pas rater.

Tout en soulignant l’engagement de tous à faire face à tous ces changements et à œuvrer à l’amélioration de la situation, particulièrement de ceux qui ont été marginalisés pendant des décennies, qui souffrent de précarité et qui cherchent à avoir une vie digne, le président de la république a insisté sur l’impératif de passer de la lassitude à l’action et du désespoir à l’espoir, ce qui nécessite, selon lui, la conviction commune que la Tunisie est ouverte à tous et que le travail et l’effort constituent la voie de la réussite et de la victoire.

Saïed a, dans ce sens, appelé à la création des richesses, soulignant que parmi ces richesses, figurent les ressources humaines «intarissables et à la valeur inestimable», a-t-il dit, en mettant en avant aussi l’importance de compter sur soi et sur ses propres capacités pour réaliser les revendications légitimes des Tunisiens à l’emploi, à la liberté et à la souveraineté.

Saïed a-t-il changé ?

«Conviction commune», «Tunisie ouverte à tous», «travail», «effort», «création de richesses», «compter sur soi» et quoi encore ? Des valeurs, des expressions et des mots que l’on croyait bannis à jamais du lexique présidentiel. Lequel a fait perdre trois ans aux Tunisiens, en les divisant, en les opposants les uns aux autres, en leur faisant miroiter l’illusion d’un enrichissement rapide et sans effort, grâce à une hypothétique récupération des «biens spoliés au peuple».

Saïed a-t-il changé, sachant que, quelques jours plus tôt, il fulminait, tempêtait et menaçait ses opposants, en lançant des accusations sans queue ni tête contre de supposés traitres, politiques, journalistes et autres, «qui se reconnaîtront» (sic!) ?

Difficile de croire à une si rapide métamorphose du chef de l’Etat. C’est sans doute la nature de l’exercice des vœux de fin d’année qui lui a inspiré une posture, inhabituelle et très provisoire, de «père de la nation», car Saïed ne reconnaît qu’une paternité, celle des pauvres, des marginalisés et des laissés pour compte à la rencontre desquels il était allé hier soir, à la cité Al-Intilaka, à la lisière de Tunis.

Kais Saïed à la cité Intilaka.

Serrez vos ceintures ?

Le président Saïed, on le sait, affectionne les symboles et confond parfois les mots et les choses qu’ils désignent. En allant à la cité Al-Intilaka, qui signifie en arabe le décollage, qui plus est à l’aube d’une nouvelle année, il a voulu laisser entendre que tout va commencer maintenant, alors qu’il vient d’imposer le système politique hyper-présidentialiste pour ne pas dire autocratique qu’il a voulu, en dehors de tout débat national et malgré l’opposition de pans entiers de le scène politique et sociale : une nouvelle constitution, une nouvelle loi électorale, une nouvelle assemblée, le tout à sa mesure et selon ses desideratas, et ce sera, promet-il, le décollage.

Quand aux trois premières années de son mandat, au cours desquels la Tunisie a touché le fond et les Tunisiens ont perdu plus de 30% de leur pouvoir d’achat, Kaïs Saïed s’en lave les mains: elles sont passées par perte et profit. Et selon la symbolique de son déplacement d’hier soir, c’est maintenant que le décompte peut commencer. Il reste à savoir de quoi : des réalisations et des accomplissements, ce dont on a de bonnes raisons de douter, ou celui des déficits, des échecs et des désillusions.

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