Oslo au chevet d’une Tunisie malade

Une délégation officielle tunisienne quadripartite est depuis dimanche 15 janvier 2023 à Oslo pour une visite de trois jours à la Norvège. Pour quoi faire ? (Illustration : la délégation tunisienne à son arrivée à Oslo city hall).

Par Ridha Kefi

La délégation comprend le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saied, et son collègue des Affaires sociales, Malek Zahi, ainsi que le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, et le président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), Samir Majoul.

C’est un attelage pour le moins inhabituel et qui suscite des interrogations. La destination aussi pose des questions, car le Norvège ne figure pas parmi les pays avec lesquels la Tunisie a de fortes relations politiques et économiques qui justifieraient une telle visite d’une délégation ainsi formée.

Un attelage inattendu

Selon le ministère des Affaires sociales qui l’a annoncée sur sa page Facebook dimanche, l’invitation a émané du ministre norvégien des Affaires étrangères (qui habituellement invite son homologue, ce qui n’est pas le cas cette fois) et la président de la Confédération des syndicats norvégiens (LO) pour M. Taboubi, et du président de la Confédération des entreprises norvégiennes (NHO) pour M. Majoul.

Selon le communiqué, la visite comprend «des rencontres de haut niveau, des conférences et des ateliers sur des questions sociales et économiques». Elle «s’inscrit dans le cadre du renforcement des relations de coopération bilatérale dans les domaines économiques et sociaux entre la Tunisie et la Norvège».

Voilà pour la langue de bois officielle, mais cela ne dit rien de précis sur la raison réelle de cette visite et sur la composition pour le moins inattendue de la délégation.

Quand on sait le contexte national difficile dans lequel se déroule cette visite, marqué par le blocage du dialogue politique dans le pays et l’absence de perspective de sortie de crise dans un pays qui traverse la plus grave crise financière de son histoire récente et qui fait face à une grogne sociale menaçant d’exploser à tout moment en affrontements, on peut imaginer une tentative de conciliation entre les parties tunisiennes menée par ce pays scandinave à la neutralité légendaire et dont la médiation serait volontiers acceptée par l’opinion tunisienne qui n’aurait pas apprécié que les Américains, les Français ou autres Occidentaux se mêlent de leurs affaires.

Un Nobel de la Paix, ça se mérite

Pourquoi la Norvège ? Il y a un autre argument qui est entré en ligne de compte : c’est à Oslo que le Quartet du dialogue national, formé par l’UGTT, l’Utica, le Conseil de l’ordre des avocats tunisiens (Coat) et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH) avait reçu, en 2015, le Prix Nobel de la Paix… pour avoir réussi, par la négociation, à sortir la Tunisie d’une grave crise politique qui menaçait de dégénérer en guerre civile.

La Tunisie se trouve aujourd’hui dans une situation quasiment semblable quoique plus compliquée, car au blocage politique s’est ajoutée une crise financière et économique asphyxiante, et on peut imaginer qu’à Oslo, on a voulu tenter quelque chose pour sauver ce qu’on avait appelé, à l’époque, un peu rapidement, «l’exception tunisienne», et éviter ainsi que le Prix Nobel de la Paix attribué en 2015 soit vidé de toute sa portée symbolique, et pas seulement pour la Tunisie.

Il s’agit, encore une fois, de secouer les Tunisiens, de calmer leurs ardeurs belliqueuses et de les rappeler à la réalité des gros risques qu’ils encourent en poursuivant sur la voie suicidaire qu’ils sont en train de suivre actuellement avec un pouvoir qui ne veut rien entendre, une opposition prête à en découdre et une population qui a perdu confiance en tout et en tous, et qui, par désespoir, peut prêter l’oreille aux sirènes de la violence.  

On peut aussi estimer que la Norvège (qui, soit dit en passant, sans ironie aucune, avait servi de théâtre aux négociations de paix israélo-palestiniennes) s’est attelée à cette tâche en concertation avec les partenaires historiques de la Tunisie, et à leur tête les Etats-Unis et la France, mais aussi l’Italie, qui ne sont nullement indifférents à ce qui se passe dans notre pays et qui appréhendent sérieusement une détérioration de la situation susceptible de provoquer des heurts et des violences et, plus grave encore, la faillite d’un Etat ayant toujours joué un rôle pacificateur au sud de la Méditerranée.   

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