Quand le président Kaïs Saïed déclare que «le peuple tunisien est seul capable de faire le diagnostic de la situation dans son pays et d’identifier les remèdes pour faire face à tous les problèmes», comment les partenaires internationaux de la Tunisie, y compris le FMI, vont-ils interpréter son souverainisme mâtiné de populisme, alors qu’il ne cesse de tendre la main à l’aide internationale, tout en lançant des cris d’orfraie contre l’ingérence étrangère.
Par Imed Bahri
Lors de sa rencontre, vendredi 20 janvier 2023 au Palais de Carthage, avec la cheffe du gouvernement Najla Bouden, la ministre des Finances Sihem Boughdiri et le gouverneur de la Banque centrale Marouane Abassi, qui venaient de représenter la Tunisie au Forum économique de Davos, en Suisse, le président de la république Kaïs Saïed a déclaré : «Le peuple tunisien est seul capable de faire le diagnostic de la situation dans son pays et d’identifier les remèdes pour faire face à tous les problèmes».
Cette rencontre était consacrée aux résultats de la participation de la délégation tunisienne à cet événement et ses rencontres avec des responsables étrangers, «qui ont permis de réaliser de nombreux résultats positifs, notamment la clarification de la situation économique et financière de la Tunisie», indique le communiqué de la présidence de la république.
La corruption, encore et encore !
La rencontre a été également l’occasion d’«examiner de nombreux dossiers, et particulièrement, ceux de la corruption dans de nombreux secteurs et la nécessité de faire face à tous les corrupteurs qui se croient au-dessus des lois», ajoute le communiqué dans une formule redondante que les Tunisiens se sont lassés d’entendre de la bouche du président de la république dont la présumée guerre contre la corruption n’avance guère, puisqu’on attend toujours la révélation des affaires souvent évoquées de manière vague et sans citer des noms.
La rencontre a aussi permis, ajoute le communiqué de la présidence, de «passer en revue le fonctionnement de certains services publics, en insistant sur la nécessité pour les responsables d’assumer entièrement leurs responsabilités afin de garantir le bon fonctionnement de ces services».
Bien que redondante et vague elle aussi, cette phrase a au moins le mérite de reconnaître que certains services publics ne fonctionnent pas de manière satisfaisante. Cependant, le président de la république et les autres membres du l’exécutif ne nous disent pas ce qu’ils prévoient comme mesures concrètes pour garantir un meilleur fonctionnement des services publics les plus décriés par les citoyens, qui en subissent quotidiennement les désagréments.
On constatera aussi, avec surprise et étonnement, que le communiqué de la présidence de la république a omis d’évoquer le sujet de préoccupation du moment aussi bien pour l’Etat que pour les citoyens, à savoir l’état d’avancement du projet d’accord avec le FMI pour un prêt de 1,9 milliard de dollars, qui a été, comme on le sait, au centre de la plupart des rencontres effectuées par les membres de la délégation tunisienne au Forum économique de Davos.
Où en est-on au juste, puisque l’examen de l’accord, initialement prévu le 19 décembre dernier, a été reporté en dernière minute par le FMI, et qu’à ce jour, aucune autre date n’a encore été fixée alors que le mois de janvier touche à sa fin ?
Et comme ni Mme Bouden ni Mme Nemsia ni M. Abassi n’ont fait de déclaration, ni à ce sujet ni à aucun autre, à leur sortie de la rencontre avec le président de la république, fidèles en cela à une stratégie de NON-communication que l’Etat tunisien suit depuis l’avènement de M. Saïed, on en est réduits à faire des supputations, d’autant que le chef de l’Etat multiplie les déclarations contradictoires et qui ne sont pas de nature à rassurer les bailleurs de fonds que nous sollicitons sur nos réelles dispositions à respecter nos engagements, notamment celles relatives aux réformes économiques prévues dans le cadre de l’accord avec le FMI, à savoir la levée des subventions aux produits de base, la réduction de la masse salariale de la fonction publique et la privatisation partielle ou totale des entreprises publiques opérant dans les secteurs concurrentiels.
Une situation kafkaïenne
Quand le président déclare, comme il l’a fait hier que «le peuple tunisien est seul capable de faire le diagnostic de la situation dans son pays et d’identifier les remèdes pour faire face à tous les problèmes», comment les partenaires internationaux de notre pays, y compris le FMI, vont-ils interpréter son souverainisme mâtiné de populisme, alors qu’il ne cesse de tendre la main à l’aide internationale, tout en lançant en même temps des cris d’orfraie contre l’ingérence étrangère dans les affaires tunisiennes.
Est-ce qu’en tenant deux discours complètement contradictoires, l’un par la présidence de la république et l’autre par le gouvernement, la Tunisie va rassurer ses partenaires sur ses dispositions à respecter ses engagements internationaux, à mobiliser des bailleurs de fonds bilatéraux et attirer des investisseurs extérieurs qui vont lui permettre de bien utiliser les fonds qui lui seront octroyés pour relancer son économie et sortir de la crise où elle s’enfonce chaque jour un peu plus ?
On comprend dès lors la gêne des membres du gouvernement, dont la marge de manœuvre se rétrécit comme peau de chagrin, et qui préfèrent parler le moins possible de crainte de subir les foudres du président de la république s’ils venaient à proférer une énormité, ou d’alimenter les doutes de leurs interlocuteurs étrangers, dans un contexte de perte de confiance aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Dans cette situation kafkaïenne, allez parler de climat d’affaire, de retour de la croissance et de relance économique, dans un pays qui, de l’aveu même de son président, est gangrené par la corruption !
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