Si l’Islam en Andalousie a disparu après avoir atteint les confins des Pyrénées, la faute en incombe plus à l’incapacité de ses propres fidèles à surmonter leurs antagonismes et à générer une société plus juste, qu’à la puissance des armées chrétiennes de la Reconquista.
Par Dr Mounir Hanablia
L’Etat omeyyade arabe en Andalousie, fondé par un rescapé de la dynastie omeyyade de Damas en 756, Abderrahmane dit le faucon de Qoreich, a été caractérisé tout au long de son existence par une instabilité chronique faite d’une succession de révoltes inspirées par les Abbassides de Bagdad ou les Fatimides d’Afrique ou simplement issues du mécontentement local, telle celle de Omar Ibn Hafsoun qui a duré plus de vingt ans, dont la répression souvent longue et difficile fut le théâtre d’un horrible étalage de cruauté.
Cette instabilité donna lieu également à des conflits armés sans cesse renouvelés avec les royaumes chrétiens du nord.
Pourtant, c’est à partir de 1009 lorsque Abderrahmane ‘‘Sanchuelo’’, le fils du dictateur Almanzor, s’est fait proclamer héritier du calife Hichem El Moayed, qui ne régnait que nominalement, que la guerre civile a éclaté. Elle devait mener la dynastie omeyyade d’Andalousie à sa perte.
La guerre civile à Cordoba
Ce sont les représentants de différentes branches cousines issues du Calife Abderrahmane Ennasser, le plus prestigieux des souverains de la dynastie, qui sont entrés en guerre les uns avec les autres jusqu’en 1016. Mais l’affrontement entre El Mehdi et Al Mostayin n’a pris cette ampleur que parce qu’il a fourni aux Berbères et aux Slaves (les Saqalibas) l’occasion de se tailler des fiefs en Andalousie qui ont mené à la désagrégation de l’Etat unitaire et à ces cités-Etats appelées Royaumes de Taïfa. Mais c’est Al Mansour Ibn Abi Amer, le général invincible (Almanzor) qui en avait fait l’épine dorsale de l’armée, et lorsque la populace de Cordoba ou Cordoue s’est soulevée en 1009 en pillant, tuant et massacrant les partisans de son fils Sanchuelo, c’est d’abord à eux qu’elle s’est attaquée, et les Berbères se sont enfuis et ont alors fait appel au souverain chrétien de Léon qui avait accepté de les aider contre la remise de forteresses stratégiques.
Lorsque les Berbères et les Chrétiens réunis ont repris Cordoba, ils se sont livrés à un véritable massacre et des exactions innommables sur la population dont la ville ne s’est jamais véritablement relevée.
Finalement, Almoayyed a été victime d’une mise en scène funèbre montée par Elmehdi en usant d’un cadavre qui lui ressemblait pour convaincre de sa mort, avant de disparaître véritablement, probablement assassiné par El Mostayin ou un de ses fils.
Tous les prétendants au califat de la famille finirent de mort violente et cruelle et 7 années après le début des troubles, Cordoba devint le fief d’une famille berbère, les Beni Hammoud, Ali, Kacem, puis Yahya.
Al Kacem, qui ne faisait pas confiance aux Cordouans ni aux Berbères de sa tribu, engagea pour se protéger une garde faite de noirs africains et il suscita ainsi l’hostilité et les mauvais instincts de la population.
Il y eut bien une tentative sérieuse de restauration de la part d’un autre Omeyyade, Al Mortada, mais victime d’une trahison à l’instigation de l’un de ses alliés, Khairane, il fut abandonné par son armée sous les murs de Grenade et assassiné.
La république des notables
Quelques années plus tard, en 1019, après un nouvel interlude califal, celui d’Al Mustakfi, qui connut la même funeste fin, le frère d’Al Mortada, fut choisi comme Calife par les notables Cordouans, sous le nom d’Al Moated, mais très vite, ceux ci contestant les choix de ses collaborateurs jugés de trop basse extraction, finirent par lui susciter un rival, dans la famille, du nom de Omaya, et face aux désordres qui s’en suivirent avec une nouvelle fois le pillage du palais califal par la foule, les notables de Cordoba finirent par déclarer la déchéance de la famille Omeyyade, et confièrent la responsabilité du gouvernement à celui qu’ils jugeaient être le plus apte à l’assumer, un ancien ministre du nom d’Ibn Jahwar.
Cette république de notables ne dura que quelques années et demeura une expérience isolée et sans avenir confinée aux seules limites de la cité du Guadalquivir, les royaumes des Taïfas étant devenus des entités indépendantes, et elle n’eut donc aucune répercussion sur l’histoire politique du monde musulman, ce qui est profondément regrettable mais explicable; la République ne pouvait éclore en dehors du champ historique, politique, juridique, et institutionnel gréco-romain, dont la tradition islamique était dépourvue depuis la défaite des Mutazilites à Bagdad, et la mise à l’écart d’Averroes par le sunnisme.
En fin de compte, l’Etat Omeyyade d’Andalousie fut victime de son incapacité à amalgamer ses différentes composantes, arabe, yéménite, berbère, slave, africaine, mais aussi les «Mawalid» (sang mêlés arabo-hispaniques) et les Mozarabes (chrétiens arabophones) en une entité unique surmontant ses différences ethniques et religieuses. Les différentes communautés vécurent la plupart du temps les unes à côté des autres mais sans véritable intégration, même entre Musulmans de différentes communautés.
Ce qui frappe est la férocité et la cruauté dont les différents partis en lutte faisaient preuve les uns contre les autres, et qui sera comparable aux guerres de religion et celle de Trente ans, en Europe, après l’apparition de la Réforme. A Tolède des notables séditieux avaient été invités par l’un des califes à un banquet et une fois réunis près de soixante-dix parmi les convives furent exécutés sur place.
Une folie meurtrière de destruction
Les antagonismes ne se limitaient pas aux champs de batailles mais s’étendaient aux villes et aux maisons et donnaient lieu à une folie meurtrière de destruction aux conséquences irréversibles.
Ces vingt années de guerre civile à Cordoba mirent en miettes la puissance musulmane et recomposèrent définitivement le paysage politique de la péninsule au profit des royaumes du Nord. C’est d’autant plus notable que l’islam sur le plan des principes demeure une religion égalitaire nivelant les différences ethniques et raciales. Mais en Andalousie ces principes furent foulés aux pieds face aux ambitions exacerbées des uns des autres et n’ont pas plus prévalu que lors de la grande «fitna» (discorde) entre Ali et Mou’awiya après la mort du prophète Mohamed.
Si l’Islam en Andalousie a disparu après avoir atteint les confins des Pyrénées, la faute en incombe plus à l’incapacité de ses propres fidèles à surmonter leurs antagonismes et à générer une société plus juste, qu’à la puissance des armées chrétiennes de la Reconquista.
Le plus étonnant est même qu’il y ait survécu pendant cinq siècles supplémentaires aux conséquences de la guerre civile de Cordoue, qui a porté un coup fatal à l’unité de l’Etat, que même les Almoravides et les Almohades venus du Maghreb ne parviendraient plus à reconstituer.
* Médecin de pratique libre.
‘‘Histoire des Arabe en Espagne ; la fin du califat omeyyade en Andalousie’’, essai en arabe de Khaled Soufi, éditions Al Jamal, 4 janvier 2011.
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