Tunisie : retour sur l’expulsion du prince marocain Moulay Hicham

Dr Hicham Alaoui, ou Moulay Hicham, prince du Maroc, cousin du roi Mohammed VI, a été expulsé de Tunisie, sans explication de la part des autorités tunisiennes. Un épisode qui suscite de sérieuses interrogations… (Ph. Sophie Park).

Par Imed Bahri   

«Le prince rouge», comme on le surnomme, pour ses écrits favorables aux réformes démocratiques dans le monde arabe, y compris dans son pays, le Maroc, où ses relations avec la famille royale ont longtemps été froides, continuent de faire grincer des dents, et notamment en Tunisie.

Le 20 janvier, Moulay Hicham se trouvait dans un hôtel à Tunis, pour donner une conférence sur «la gouvernance et la sécurité au Maroc, au Yémen et en Tunisie», dans le cadre d’une rencontre sur le thème «Le Maghreb à l’heure des populismes», organisée par l’équipe de l’édition arabe du Monde diplomatique, prévue dimanche 22 janvier, lorsque la police lui a demandé de retourner dans sa chambre et de faire ses valises. Il aurait reçu un arrêté d’expulsion en tant que «persona non grata». Accompagné à l’aéroport de Tunis-Carthage, il a pris un avion pour Paris. La nouvelle sera diffusée via Twitter par Ignacio Sembrero, journaliste d’El Pais, avant d’être relayée sur la toile et par les médias.

Moualy Hicham critique l’«autoritarisme césariste» de Kaïs Saïed

Les autorités tunisiennes, dont les relations avec leurs homologues marocaines n’ont jamais été aussi froides qu’elles le sont aujourd’hui, n’ont pas expliqué les raisons de cette expulsion. On sait cependant que Moualy Hicham avait vivement critiqué le président tunisien Kaïs Saïed dans un article intitulé «Le triomphe fragile des contre-révolutions arabes», publié en septembre 2022 dans Le Monde diplomatique.

«Le verrouillage des institutions mené par le président tunisien Kaïs Saïed depuis un an semble avoir symboliquement fermé la parenthèse démocratique entamée au Maghreb et au Machrek en 2011. Mais cette glaciation est-elle définitive ? Faute de doctrine idéologique claire et de projets économiques viables, les autocraties du monde arabe subiront tôt ou tard de nouvelles protestations massives», notait-il dès le début de l’article.

Il ajoutait plus loin à propos de la Tunisie : «Pionnière en 2011 des ‘‘printemps arabes’’, elle a résisté longtemps à la régression démocratique qui les a suivis. Si, néanmoins, le coup d’État institutionnel décidé le 25 juillet 2021 par le président Kaïs Saïed a réussi, c’est non seulement que les institutions postrévolutionnaires mises en place par la Constitution de 2014 se sont révélées extraordinairement fragiles, mais aussi que la population s’est lassée de la corruption endémique et des jeux politiciens. L’autoritarisme césariste de M. Saïed a profité de la déception des militants à l’égard de la démocratie, preuve qu’un système politique fondé sur le pluralisme et l’inclusion peut subir une régression brutale.»

Lors de sa précédente expulsion de Tunis (8 septembre 2017), où il était également venu pour participer à une conférence organisée par l’université américaine de Stanford, prévue deux jours plus tard, sur la transition démocratique en Tunisie, Moulay Hicham a expliqué qu’il était venu en tant qu’universitaire et chercheur et non en tant que prince. Ce jour là aussi, 5 agents de police étaient venus le chercher à l’hôtel, soit 45 minutes après son atterrissage à l’aéroport de Tunis-Carthage, pour lui demander de faire sa valise et de le reconduire à l’aéroport.

«Les policiers m’ont bien traité et ont même été très aimables, m’expliquant que mon expulsion est une décision souveraine, sans m’en dire plus», avait-il indiqué, ajoutant: «Après avoir signé les procédures d’usage, j’ai été reconduit à l’aéroport. Cette décision d’expulsion est humiliante pour ceux qui l’on prise et ne va pas dans le sens de la révolution tunisienne et encore moins des sacrifices du peuple tunisien, que je remercie, au passage, pour l’accueil et le soutien».

Interrogé à l’époque par France24 sur les raisons de cette expulsion, Moulay Hicham avait évoqué plusieurs versions : la décision aurait été demandé par le Maroc, ou l’Arabie saoudite ou encore les Emirats arabes unis. Selon d’autres informations, la Tunisie aurait découvert qu’il était ciblé par un plan d’assassinat et décidé de l’éloigner du pays pour sa sécurité. Version qu’il avait du reste écartée, en demandant aux autorités tunisiennes de révéler la vérité sur les véritables raisons de son expulsion, demande restée à ce jour sans réponse.

«Nous suivons la transition démocratique en Tunisie et sommes fiers de ce que le peuple tunisien a construit à ce jour. Il ne faut pas lâcher et que vive la Tunisie !», avait-il alors conclu.

Inquiétude pour l’avenir de la liberté d’expression en Tunisie

Que Moulay Hicham soit expulsé une seconde fois de la Tunisie, cinq ans et demie après la première, a de quoi susciter des interrogations. Et si les médias marocains ne se sont pas étalés sur cette question, leurs homologues algériens se sont empressés d’inscrire cet épisode dans le cadre de la crise diplomatique entre le Maroc et la Tunisie provoquée, fin août dernier, par l’accueil officiel réservé par le président Kaïs Saïed au chef du Front Polisario, Ibrahim Ghali, venu à Tunis pour prendre part à la Conférence internationale de Tokyo pour le développement en Afrique (Ticad 8).

On ne peut cependant donner un total crédit à une telle thèse, car Moulay Hicham est venu à Tunis en tant que chercheur et intellectuel pour prendre part à une conférence. Et en l’absence d’explication officielle, on peut difficilement écarter le lien entre l’analyse que fait Moulay Alaoui de la situation en Tunisie et sa critique de l’«autoritarisme césariste» de Kaïs Saïed et sa seconde expulsion de Tunis, après y être entré normalement via l’aéroport de Tunis-Carthage.

Si c’est le cas, ce serait inquiétant pour l’avenir de la liberté d’expression en Tunisie où la plupart des organisations de la société civile dénoncent les tentatives de musellement des voix discordantes menées par les autorités depuis le 25 juillet 2021, date de la proclamation de l’état d’exception par le président Kaïs Saïed.  

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