L’omerta souvent observée par les autorités tunisiennes à chaque fois qu’une personnalité publique est frappée d’interdiction est contre-productive, car elle alimente les rumeurs les plus folles et provoque un climat de suspicion généralisée dans un pays où la confiance est devenue la denrée la plus rare. (Illustration : Nabil Baffoun, Farouk Bouasker, Mohamed Tlili Mansri et les autres).
Par Imed Bahri
L’affaire Nabil Baffoun, l’ex-président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), suscite beaucoup d’interrogations, d’autant que les interdictions dont il est frappé ne sont pas expliquées par les autorités sécuritaires et judiciaires.
On n’a pas entendu beaucoup de monde s’émouvoir d’apprendre qu’il est empêché d’exercer son métier de huissier de justice et même de voyager pour exercer son expertise électorale dans un pays de la région. Ses collègues de l’ordre régional des huissiers de justice de Tunis ont publié aujourd’hui, mardi 7 février 2023, un communiqué où ils dénoncent les mesures prises à son encontre, et notamment l’interdiction de voyager, qui est, selon eux, «une atteinte claire aux droits fondamentaux garantis par les constitutions et les pactes internationaux», et lui expriment leur solidarité, en demandant au ministère de la Justice de lui permettre de reprendre son activité professionnelle et au ministère de l’Intérieur de le rétablir dans son droit de circuler librement conformément aux lois du pays. D’autant que l’intéressé a déclaré aux médias que les interdictions dont il est frappé ne sont liées à aucune plainte judiciaire dont il ferait l’objet.
Le silence assourdissant de Bouasker & Co.
Quoi qu’il en soit, et en attendant que les autorités judiciaires et sécuritaires communiquent à ce sujet, nous nous contentons, à notre niveau, de faire part de notre étonnement face au silence assourdissant des anciens collègues de Nabil Baffoun parmi les actuels membres de la commission électorale et à leur tête Farouk Bouasker et Mohamed Tlili Mansri, respectivement président et porte-parole. Car si M. Baffoun est soupçonné de quelque dépassement pendant sa présidence de l’Isie, tous ses anciens collègues, qui continuent de sévir dans le système électoral national, par la volonté même du président de la république Kaïs Saïed, qui les a tous désignés, devraient être soupçonnés eux aussi.
D’un autre côté, si on peut soupçonner les élections organisées par M. Baffoun d’avoir été manipulées, ce dernier saura-t-il en être le seul responsable et ne doit-on pas aussi en soupçonner tous les autres membres de l’Isie, auxquels on continue de faire confiance ?
Par ailleurs, n’est-ce pas M. Baffoun qui a organisé les présidentielles de 2019 qui ont donné le président Saïed vainqueur au second tour, avec un taux de près de 73% ? Doit-on aussi douter de l’authenticité de ces chiffres ?
Une omerta contre-productive
Enfin, si M. Baffoun est poursuivi en justice – sans en avoir été informé lui-même – dans une affaire qui n’a rien à voir avec son mandat de président de l’Isie, qu’attendent les autorités pour en informer l’opinion publique afin de dissiper les malentendus suscités par son interdiction de voyage, étant donné la nature politique de la dernière mission qui lui fut confiée et qui en fit, pendant quelques années, l’une des personnalités les plus médiatisées en Tunisie.
Tout cela pour dire que l’omerta, souvent observée par les autorités à chaque fois qu’une personnalité publique est frappée d’interdiction, est contre-productive et peut alimenter les rumeurs les plus folles et provoquer un climat de suspicion généralisée dans un pays où la confiance est devenue la denrée la plus rare.
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