Pays exsangue et au bord de la cessation de paiement, la Tunisie se paye le luxe d’une crise politique sans précédent avec un pouvoir au bord de la crise de nerfs et qui s’enferme dans une sorte de paranoïa lui faisant voir des comploteurs partout.
Par Ridha Kéfi
La nuit du lundi 13 au mardi 14 février 2023 a été particulièrement longue en Tunisie avec les annonces d’une nouvelle série d’arrestations, après celles de samedi dernier, dans les rangs de l’opposition et de la société civile.
Si elles ont concerné des personnalités de premier ordre de diverses sensibilités politiques, ces arrestations ont plusieurs points communs.
Elles sont effectuées par des policiers en civil accompagnés d’une armada d’agents en uniforme, avec bouclage de quartiers entiers, ballet de gyrophares et tout le tralala, comme s’il s’agissait aussi d’impressionner les citoyens par le spectacle de la force publique. Elles sont précédées d’une perquisition dans le domicile des concernés, qui sont ensuite conduits au centre de la police criminelle d’El-Gorjani, où leurs avocats, dépêchés sur les lieux, sont empêchés d’entrer en contact avec eux ou d’accéder à leurs dossiers ou même de connaître les accusations exactes portées contre eux. On parle de brigade antiterroriste et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, mais comme il s’agit de personnalités politiques, qui n’ont pas d’antécédents dans ce domaine, l’accusation reste trop vague et laisse perplexe.
Une démonstration de force
Autre point commun entre ces arrestations, les autorités sécuritaires et judiciaires restent étrangement silencieuses, puisqu’aucune communication officielle n’est faite au sujet de ces deux séries d’arrestations qui ont suscité une forte émotion dans l’opinion publique. Celle-ci, qui s’est exprimée sur les réseaux sociaux, est d’ailleurs très divisée sur le sujet.
D’un côté, les partisans de Kaïs Saïed, les plus loquaces, applaudissent et expriment même leur enthousiasme. «Il faut nettoyer la scène politique, le milieu des affaires et les médias», disent-ils. Quant aux opposants au président de la république, ils dénoncent, non pas les arrestations en tant que telles, mais la manière brutale et peu respectueuse des procédures avec laquelle elles sont effectuées, les opérations de police tournant à la démonstration de force et à l’intimidation générale, d’autant que, dans ces opérations coups de poing, les rôles entre les différents corps de l’Etat ne semblent pas bien définis, les forces sécuritaires menant le bal, alors que l’institution judiciaire semble tenue à l’écart sinon totalement dépassée.
Pour ce qui est des personnalités arrêtées, trois sont entendues depuis samedi : Khayam Turki, Kamel Eltaief et Abdelhamid Jelassi sont des activistes assez influents sur la scène politique et dont les liens sont loin d’être évidents même pour nous autres journalistes, car ils appartiennent à des familles politiques différentes voire opposées, même si on imagine que l’opposition à Kaïs Saïed puisse les rassembler.
Trois autres ont été arrêtés hier soir : deux activistes politiques : Noureddine Bhiri et Lazhar Akremi, dont les positions sont souvent aux antipodes les unes des autres, et un homme des médias : Noureddine Boutar, directeur de Mosaïque FM, la première radio dans le pays, un homme plutôt discret et dont les relations avec les acteurs politiques ont toujours été purement professionnelles. On l’a rarement entendu exprimer une opinion sur les affaires du pays ou vu s’afficher avec des hommes politiques de quelque bord que ce soit. Et c’est cette hétérogénéité des appartenances idéologiques des personnes arrêtées, ajoutée au silence radio observé par les autorités, qui suscite les interrogations, même parmi les avocats des concernés.
Le déchaînement des haines
Pour ne rien arranger, les partisans de Kaïs Saïed, qui se déchaînent sur les réseaux sociaux, laissant libre cours à leurs ressentiments et leurs haines, annoncent de nouvelles séries d’arrestations dans les rangs des acteurs politiques, économiques et médiatiques, ainsi qu’au sein des organisations de la société civile, notamment l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), voyant dans cette campagne ciblant les opposants au président de la république le début de ce que ce dernier appelle une nouvelle «libération nationale».
Il est clair que cette campagne, qui intervient à un moment crucial où la Tunisie fait face à la plus grave crise financière de son histoire contemporaine et semble même au bord de la cessation de paiement, n’aidera pas à améliorer l’image d’un pays, hier encore qualifié de pré-émergent et ses performances économiques louées, et qui, aujourd’hui, bloqué et surendetté, ne parvient plus à se relancer.
La confiance rompue n’attire plus les investisseurs et le climat politique malsain ajoute à cette ambiance délétère où les guéguerres politiques alimentées par la plus haute autorité de l’Etat n’inspirent pas la confiance. Mais la suspicion et la haine…
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