Tunisie : considérations préliminaires sur «l’affaire Kamel Eltaief»  

Sans entrer dans les détails de ce qu’on va bientôt appeler «l’affaire Kamel Eltaief», puisqu’on ne sait rien des raisons de l’arrestation, hier, samedi 11 février 2023, de cet homme d’affaires qui a marqué de son empreinte la vie politique en Tunisie depuis le milieu des années 1970. Mais cette arrestation suscite plusieurs interrogations que nous ne pouvons éluder… (Illustration: Kamel Eltaief. Ph. Ons Abid).

Par Ridha Kefi

D’abord, le silence des autorités sur la série d’arrestations effectuées hier, dont celle de Kamel Eltaief, traduit leur gêne du reste compréhensible, étant donné l’importance des personnalités arrêtées et la place qu’elles occupent sur la scène politique, tels que Khayam Turki, l’ancien dirigeant du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL-Ettakatol) et fils de l’ancien ambassadeur de Tunisie en France Brahim Turki, et l’ancien dirigeant du parti islamiste Ennahdha Abdelhamid Jelassi, lesquels, selon certaines indiscrétions, seraient entendus dans la même affaire.

Les mêmes indiscrétions parlent aussi d’autres arrestations à venir en lien avec celles effectuées hier et qui concerneraient des hommes d’affaires, des activistes politiques et même, dit-on, un ancien militaire.

Le silence gêné des autorités

Quoi qu’il en soit, le silence observé par les autorités de l’Etat, s’il est compréhensible, n’en est pas moins injustifiable, car, sans une communication adéquate et crédible de la part des autorités sécuritaires et judiciaires sur les raisons de ces arrestations, les familles et les avocats des concernés sont en droit de parler d’enlèvement, étant donné le flou qui entoure l’identité des personnes en civil ayant effectué les arrestations, ainsi que le lieu (ou les lieux) de détention des personnes arrêtées.

Sur un autre plan, et selon les mêmes indiscrétions, ces derniers seraient soupçonnés dans une affaire de complot contre la sûreté de l’Etat, accusation aussi vague que souvent difficile à étayer par des preuves matérielles acceptables par une justice digne de ce nom. Car il y a une sacrée différence, que les flics ont tendance à ne pas considérer, entre l’expression d’une opinion politique qui peut être très hostile à un régime et une tentative matériellement prouvée pour le renverser par la force.  

Que les Turki, Eltaief et Jelassi ou d’autres aient pu discuter, à une quelconque occasion, par exemple au cours d’un dîner en ville, des moyens envisageables pour changer la situation politique en Tunisie ou même de trouver un remplaçant à Kaïs Saïed, cela nous semble très possible et même fort probable, car ces derniers ont toujours été impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans la vie politique du pays. Mais pour qu’un tel fait, fut-il prouvé, puisse alimenter une accusation de complot contre la sûreté de l’Etat, il faudrait que les enquêteurs parviennent à prouver l’existence de préparatifs matériels pour une prise illégale ou violente du pouvoir.

Un coupable idéal

Cependant, et en l’absence d’explications officielles, nous en sommes réduits à faire des supputations, dont celle-ci : nous voyons mal ces professionnels de la politique, des vieux de la vieille qui ne tombent de la dernière pluie, se laisser prendre, pour ainsi dire, la main dans le sac, comme de simples amateurs.

Cela dit, l’obsession complotiste du président de la république Kaïs Saïed, et qu’entretiennent ses partisans sur les réseaux sociaux, a toujours désigné à la vindicte populaire des traitres à la nation cherchant à porter atteinte à la sûreté de l’Etat.

Que cette obsession ait pu trouver en Kamel Eltaief un coupable potentiel nous semble couler de source : ce lobbyiste politique, qui a toujours cherché à influencer le cours des événements en Tunisie, à tous les tournants de son histoire, depuis la prise du pouvoir par Ben Ali en 1987 et jusqu’à aujourd’hui, présente, en effet, une cible idéale.

Encore faut-il que les accusations que l’on s’apprêterait à lui coller soient solidement étayées par des preuves matérielles. Et c’est sur ce chapitre que nous attendons les enquêteurs de la police, en espérant que cette affaire ne finira pas, comme ont fini beaucoup d’autres affaires similaires auparavant, par faire pschitt, la justice héritant souvent de dossiers bavards, baveux mais… vides.

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