Sale temps pour l’opposition et les médias en Tunisie

Dix personnalités publiques arrêtées, alors que le président Kaïs Saïed poursuit ce qu’Amnesty International et les groupes de défense des droits appellent une répression l’opposition et des médias.

Par Simon Speakman Cordall *

Des groupes de défense des droits ont exprimé leur grave inquiétude face à la répression des personnalités de l’opposition et des médias en Tunisie, où 10 personnalités publiques ont été arrêtées depuis samedi 11 février 2023 alors que le président Kaïs Saïed semble agir pour éradiquer la dissidence.

«Nous assistons à une répression croissante de la dissidence en Tunisie», a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. «Saïed utilise toutes les ressources de l’État pour renforcer son projet absolutiste. Quiconque s’oppose à lui, que ce soit politiquement ou dans les médias, est en danger dans cette chasse aux sorcières», a déclaré Guellali, qui est basé à Tunis, la capitale tunisienne.

Parmi les personnes arrêtées la semaine dernière figurent un homme d’affaires de premier plan, le directeur d’une station de radio privée populaire et des membres du parti d’inspiration islamiste Ennahdha. Ce sont principalement des critiques de Saïed, qui en 2021 a limogé le gouvernement, gelé le parlement et s’est emparé du pouvoir presque total dans une série d’actions que ses rivaux ont qualifiées de coup d’État.

Les États-Unis, l’Onu, l’Allemagne et d’autres ont également fait part de leur inquiétude face au dernier coup porté aux fragiles avancées démocratiques réalisées dans le berceau du printemps arabe, où les manifestations de 2011 ont renversé le chef autocratique, Zine El Abidine Ben Ali.

Volonté de mettre au pas les médias

Dans une déclaration la semaine écoulée, le commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit préoccupé par la nature complotiste de bon nombre des accusations portées contre les personnes arrêtées, notamment leur implication dans des complots contre l’État.

Jeudi, des membres du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) ont manifesté contre les arrestations à Tunis et appelé à la libération de Noureddine Boutar, le directeur général de la radio privée Mosaïque FM.

«Les autorités veulent mettre au pas les médias privés et publics, et l’arrestation [de Boutar] est une tentative d’intimidation de tout le secteur», a déclaré le directeur du SNJT, Yassine Jelassi.

Selon les avocats de Boutar, l’interrogatoire de la police s’est concentré sur la politique éditoriale de la station, plutôt que sur la suspicion d’actes répréhensibles. Mosaïque FM a souvent critiqué Saïed, ce qui en fait une «aberration» dans un environnement médiatique où la plupart des titres et des plateformes s’autocensurent ou répètent sans critique les lignes d’attaque du président.

«Nous n’avons pas l’intention de changer notre ligne éditoriale», a déclaré Haythem El Mekki, commentateur de l’émission populaire de midi de Mosaïque et critique virulent de Saïed. «Si nous changeons maintenant, c’est comme admettre que nous sommes coupables ou que nous avons fait quelque chose de mal. Nous ne le ferons pas», a-t-il dit.

Pour Saïed, tout est de la faute des opposants

Saïed a riposté aux critiques, déclarant dans une vidéo publiée jeudi sur la page Facebook de la présidence : «Un seul journal a-t-il été fermé ? Un seul programme a-t-il été interdit ? Un seul journaliste a-t-il été poursuivi pour quoi que ce soit en rapport avec le journalisme ?»

Il s’est également prononcé contre les critiques de l’étranger, déclarant: «Nous ne sommes pas un pays occupé ou sous protectorat, nous sommes un État souverain et nous savons très bien ce que nous faisons.»

La Tunisie a été durement touchée par des troubles économiques ces derniers mois, alimentant la colère envers Saïed. Les grèves sont devenues monnaie courante, tout comme les pénuries d’aliments de base subventionnés tels que les pâtes, le café et le sucre.

Les économistes ont attribué bon nombre des problèmes aux retards dans l’obtention d’un prêt nécessaire du FMI, mais Saïed a rejeté la faute sur ceux qui s’opposent à lui, les accusant de planifier pour fomenter le chaos social.

Parallèlement à la récente répression, Saïed est engagé dans une bataille continue avec l’UGTT, le puissant syndicat du pays, qui a également dénoncé les arrestations. Le syndicat prévoit une série de grèves sur ce qu’il prétend être un reniement par le gouvernement des promesses antérieures d’augmenter les salaires du secteur public, et ce dans le cadre des négociations avec le FMI.

Bien que Saïed bénéficie toujours d’un certain soutien populaire, celui-ci a considérablement diminué depuis sa prise de pouvoir en 2021, qui a été saluée à l’époque par de nombreux Tunisiens frustrés par les divisions politiques et l’inaction de la part du pouvoir législatif.

Dans un récent coup porté à sa légitimité, le taux de participation aux deux tours des élections législatives s’est élevé à seulement 11%.

La nouvelle constitution réduit considérablement l’importance des partis politiques tunisiens, qui ont été qualifiés par Saïed d’«ennemis du peuple.»

Article traduit de l’anglais.

Source: The Guardian.

* Journaliste indépendant basé à Tunis.

** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.