Alors que la Tunisie peine à finaliser un accord de prêt avec le FMI pour atténuer ses déficits, la pression monte sur les banques du pays, qui subissent une incertitude macroéconomique grandissante, selon un nouveau rapport d’analyse du scénario S&P Global Ratings. Que retenir…
Par Moktar Lamari *
Avec un accord potentiel du FMI qui tarde à venir, S&P a analysé les risques financiers et monétaires, et à examiné les implications financières et économiques potentielles pour le secteur bancaire advenant un défaut de paiement de l’Etat tunisien.
Les analyses de S&P insistent sur le stress et la mise à l’épreuve de la résilience du système bancaire tunisien suite à un défaut souverain de plus en plus probable.
La pandémie de Covid-19 et l’incertitude politique qui prévaut en Tunisie ont pesé sur l’activité économique du pays ces dernières années. L’économie est au ralenti, et les budgets de l’Etat mis à sec.
Selon le FMI, la croissance économique du pays devrait atteindre 1,6% en 2023, tandis que ses déficits budgétaires et externes totaliseront probablement 13% du PIB.
Le pays est confronté à des obstacles majeurs pour lever des fonds externes et des divisions internes auraient entraîné des retards dans la mobilisation des ressources nécessaires. Les autorités tunisiennes et le FMI sont en pourparlers pour convenir d’un programme qui implique des réformes importantes et douloureuses.
Les banques piégées par les dettes de l’Etat
Dans ce contexte, l’exposition des banques au risque du défaut de paiement de l’État reste significative à 83% du total des capitaux propres au 31 août 2022 (y compris les prêts directs aux expositions de l’administration publique), contre 5,1% à la fin de l’année 2010.
Bien que ce risque soit relativement inférieur à celui observé dans certains systèmes bancaires de pays comparables (Egypte, Liban, Argentine, etc.), il représente une source majeure d’incertitude, compte tenu du manque de visibilité sur la façon dont le pays financera son déficit jumeau.
Dans son rapport, S&P montre qu’un défaut souverain tunisien pourrait coûter au système bancaire 4,1 milliards à 7,6 milliards de dollars, soit 8% à 18% du PIB nominal prévu à la fin de l’année 2023. Et cela peut coûter cher pour les épargnants et dépositaires. Les pertes feront volatiliser une bonne partie des dépôts et de l’épargne détenus par le système bancaire.
Advenant ce risque, le dinar tunisien connaîtra une autre importante dévaluation, ce qui pourrait amplifier les coûts économiques d’une éventuelle déroute du système bancaire.
Le rapport de S&P ajoute textuellement : «Alors que la Tunisie cherche péniblement des financements pour honorer ses engagements, ses banques font face à des perspectives incertaines».
Les risques d’un violent crash monétaire
Les déposants et épargnants auprès de ces banques fortement impliquées dans le financement de l’Etat subissent de facto les risques d’un violent crash monétaire, où les banques concernées ne peuvent plus rembourser leurs clients.
Ces clients encourent un risque majeur qui peut dégénérer en faillite en cascade pour les opérateurs économiques et en choc majeur pour le marché de l’emploi.
Le gouverneur de la Banque centrale ne se prononce pas pour rassurer les opérateurs économiques. Son silence est assourdissant. Les opérateurs économiques ont besoin d’être rassurés.
La ministre des Finances garde aussi le silence, alors que le Budget de l’Etat cherche péniblement un financement de 15 milliards de dinars pour boucler le budget de 2023.
Toutes ces incertitudes ont lieu, alors que le pays vit une vague d’arrestations d’élites politiques accusées de complot contre l’économie (pénurie, hausse de prix, spéculations, etc.).
Du point de vue de la théorie macroéconomique, on parle ici du risque du doom loop. Un risque qui se manifeste quand on est en présence d’un cercle vicieux lié à l’interdépendance entre les banques et l’Etat.
Cette interdépendance se traduit par un risque de spirale infernale où la valorisation de la dette d’un Etat peut entraîner dans sa chute celle des banques.
Alors que les banques tunisiennes détiennent une importante dette souveraine de l’Etat tunisien et alors que celui-ci peine à honorer sa dette, S&P anticipe le pire pour les banques, si jamais l’Etat tunisien déclare cessation de paiement, totale ou partielle.
Il faut dire que depuis 2011, les banques tunisiennes, sous les consignes de la BCT ont augmenté dangereusement leurs expositions vis-à-vis de la dette publique en termes absolus et l’ont fait de façon risquée par rapport à la taille de leur bilan. **
* Economiste universitaire au Canada.
** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
Blog de l’auteur. Economics for Tunisia, E4T.
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