Tunisie : soutenir Mosaïque, c’est  préserver un précieux acquis

L’acharnement des inconditionnels de Kaïs Saïed contre certains médias, comme Mosaïque, dont le seul tort serait celui d’agacer un pouvoir en désarroi est, à la fois, pathétique et irresponsable.

Par Salah El-Gharbi *

Encouragée par les zélateurs de «l’ordre nouveau», cette attitude inquiétante semble remettre en question le droit légitime des citoyens à des médias libres, affranchis de la tutelle du pouvoir politique, ce qui constitue un précieux acquis à préserver.

 Aujourd’hui, il faut reconnaître qu’aussi bien Mosaïque qu’Express ou Shems, représentent le meilleur legs que certains membres de l’oligarchie de l’ancien régime nous aient laissés et ce, pour le bonheur des auditeurs.

En effet, depuis leur création, ces radios privées qui étaient venues nous sortir du ronronnement de la Nationale et de ses succursales et nous délivrer des discours insipides et formatés des lèches-bottes du régime de l’époque, nous ont apporté une véritable bouffée d’oxygène pour nous aider à vaincre la morosité ambiante.

Libérer les énergies

En 2011, la «révolution» est venue délivrer ces jolis oiseaux encore en cage, libérer les énergies des journalistes et des animateurs et révéler de nouveaux talents, réconciliant les auditeurs, devenus de plus en plus exigeants, avec ces nouvelles radios, à l’époque du numérique et des nouvelles technologies.

Depuis, revigorés, ces médias vont faire de l’ombre aux radios d’Etat plombées par la lourdeur administrative et la mauvaise gestion et paralysées par l’embrigadement politique et le monolithisme culturel. Désormais, le professionnalisme et l’impertinence, la liberté et la légèreté de ton, dont ces nouveaux acquis ne cessent de faire preuve, vont gagner très rapidement les faveurs du grand public, séduit par la variété des produits qui correspondent à ses attentes, tout en contribuant à l’enrichissement du débat politique, accompagnant ainsi la transition démocratique que vit le pays.

 Il est vrai que chez ces médias, l’apprentissage de la rigueur, dans un climat politique marqué par la fébrilité, n’a pas été toujours de tout repos et que le professionnalisme n’était pas toujours au rendez-vous. Je me rappelle bien qu’un jour, en écoutant un jeune journalise de Mosaïque Fm, qui couvrait le sit-in Kasbah 1 en 2011, appeler les gens à venir soutenir les «frondeurs» en fournissant à ces derniers des couvertures et des vivres, j’étais scandalisé… A l’époque, je trouvais que le dit-journaliste avait commis une faute professionnelle en réagissant en militant. Aussitôt, j’ai dû m’adresser aux responsables de la radio, via le web, pour leur exprimer mon indignation. Le lendemain matin, j’étais surpris que la radio m’appelât pour m’offrir la possibilité de dire ma désapprobation. Une demi-heure après, ma surprise fut encore plus grande en recevant un mail du directeur de la radio Noureddine Boutar, aujourd’hui incarcéré pour une vague affaire de complot contre la sûreté de l’Etat, dans lequel ce dernier s’excusait pour le dérapage du jeune journaliste.

Un engagement civique

Ce jour-là, aussi bien la rapidité de la réaction de la radio que l’excuse de son directeur m’ont beaucoup touché et rassuré, à la fois. Il y avait quelque chose d’inédit qui venait de se passer et qui constituait une  sorte de rupture avec l’autisme et l’arrogance dont les institutions de l’ancien régime faisaient souvent preuve.

D’ailleurs, grâce à cette vigilance, au volontarisme et à l’esprit de rigueur qui animaient ses responsables, cette radio privée et libre a gagné son pari et elle est parvenue à s’imposer pour devenir une sorte de locomotive pour ses concurrents.

Aujourd’hui, les familiers de Midi show, l’émission-phare de Mosaïque, peuvent mesurer son évolution durant la décennie écoulée. Malgré des débuts un peu laborieux, ce rendez-vous quotidien, qui est devenu une véritable institution, ne cesse d’évoluer au cours des ans, aidant ses auditeurs à décrypter la vie politique dans sa complexité, et de servir ainsi d’une sorte d’antidote aux commérages et aux discours survoltés, hystériques ou tendancieux du «café de commerce». En faisant preuve de pédagogie, en variant les angles de vue, et en intéressant les citoyens à la chose publique, ce média accomplit incontestablement une œuvre civique. 

Malheureusement, le succès public, la liberté de ton et l’esprit frondeur de Mosaïque semblent contrarier ceux qui, au sommet de l’Etat, cherchent à mettre au pas toutes sortes d’activités qui ne chantent pas la gloire du nouveau régime. Dans un pays où l’unanimisme a toujours obsédé la classe dirigeante, où la complaisance est la panacée et où l’opportunisme est un sport national, la lucidité, l’esprit critique et la rigueur aussi bien morale que professionnelle ne peuvent que déranger.

Intimidation des voix dissonantes

Ainsi, et après la marginalisation des partis, le temps est à l’intimidation de toute voix dissonante au sein de certains médias suspectés de vouloir nuire à l’image du régime, comme si ce dernier ne le faisait pas suffisamment bien tout seul, ce qui est, d’ailleurs, en contradiction avec le discours officiel qui met en avant la volonté du chef de l’Etat de rompre avec l’arbitraire du passé.

Aujourd’hui, soutenir Mosaïque ou tout autre média objet de la persécution, directe ou indirecte, des autorités, c’est  préserver un précieux acquis, bouillonnant de vitalité et plein d’inspiration. D’ailleurs, ce qui avait toujours manqué aux Destouriens, pour se maintenir au pouvoir, c’était des Mosaïque, autrement dit, des tribunes libres où l’on délibère énergiquement et passionnément sans se tourner le dos, où l’on peut se détester sans se haïr,  et des espaces où l’on puisse rêver, voire  délirer sans être inquiété.

Aujourd’hui, au moment où le despotisme rampant tente de laminer les espoirs de tous ceux qui ont cru, un jour, que la transition démocratique était possible, il est de notre devoir de dénoncer toute tentative qui consisterait à fragiliser ou à menacer les derniers bastions de liberté, dans les domaines de la culture ou des médias et de rester vigilants face aux discours partisans, nourris par les passions destructrices, et qui tentent de donner raison à un pouvoir rigide et déboussolé. 

* Universitaire et écrivain.

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