Tunisie-FMI: restarter les logiciels!

Incontournable, pas le choix, faute d’un accord avec le FMI, aussi symbolique soit-il, la Tunisie va droit dans le mur! Il faut un reset total des paradigmes, des logiciels et des personnages représentant la Tunisie, dans ce cadre. Mon témoignage du siège du FMI à Washington…

Par Moktar Lamari, de Washington

Aux frais des contribuables, le voyage de la délégation officielle tunisienne à Washington entre le 10 et le 16 avril 2023 a été infructueux, contre-productif et pas seulement. Comme toujours, l’information est asymétrique, faute de capital de confiance! Ils reviennent bredouilles, encore une fois!

Mandats et mandarins

Ayant parlé cette semaine à Washington, dans les locaux du FMI et de la Banque mondiale (BM), aux divers experts et décideurs, qui ont un lien direct ou indirect avec le blocage de l’entente de principe entre le FMI et la Tunisie, je suis juste effondré, abasourdi par les tensions et les incompréhensions.

J’ai rencontré les parties tunisiennes de tout bord, y compris le représentant de l’UGTT (à Washington), qui a fait le voyage pour l’événement, aux fidèles de l’establisment. J’ai rencontré aussi plein d’experts internationaux dignes de confiance, et directement impliqués dans les négoces concernant la Tunisie, ce pays lilliputien, carrefour entre l’Afrique et l’Europe.

La tension est plus que palpable, et l’in-confiance est totale au sein même de la délégation et de la communauté présente à Washington, pour ces discussions devant donner un sauvetage ou pas à une Tunisie à genoux.

Entre les membres de la communauté tunisienne, tous contre tous! Discussions de couloir, rumeurs et complots, comme toujours. L’ambassade de Tunisie à Washington capitalise sur les tensions au lieu de les atténuer, en ce mois de Ramadan.

La Tunisie n’a pas besoin d’une autre décennie de chaos, si on oppose le FMI au sommet de l’Etat en Tunisie. Les règlements de compte à ce niveau mèneront la Tunisie à une guerre civile. Notre pays, qui vit la sécheresse et la pauvreté, n’a pas besoin de ces élites déléguées à Washington, pour défendre leur carrière avant de défendre le pays!

Raidissement et entêtement

Pomme de discorde, l’entente convenue il y a 6 mois mais bloquée depuis pour refus du président Kaïs Saïed d’entériner officiellement les engagements que ses ministres et gouverneur de la Banque centrale ont signés, pour s’engager dans un nouvel accord avec le FMI, d’un montant de 1,9 milliard de dollars, sur 4 ans et 8 versements assortis d’évaluation serrée.

Dans le dossier tunisien, le FMI ne veut pas avancer d’un iota, ayant plusieurs chantiers bien plus stratégiques ailleurs dans le monde. Pas content des propos tenus par le président Kaïs Saïed qui considère que les diktats du FMI ont appauvri la Tunisie par le passé et il doit mettre fin à cette hégémonie… un président qui ne rend pas service à l’économie et au pouvoir d’achat.

Contrairement aux attentes, la délégation tunisienne n’a pas demandé officiellement au FMI la réouverture des clauses de l’entente préliminaire. Les clefs de l’entente sont confisquées par le président Saïed, un leader politique n’ayant pas une vision économique lisible, stable et cohérente dans le temps. Jihad Azour ne peut demander au FMI de rouvrir les négociations, à la place de la délégation tunisienne.

Blocage et bricolage

On n’a pas vu la délégation tunisienne se défendre et plaider la cause de la Tunisie sur les plateformes des Spring meetings : séminaires, workshops, lobbying, branding…

Cette délégation coûte aux contribuables tunisiens 50000 dollars, juste en frais hôtel et avion. Quasiment tous les gouverneurs des banques centrales ont donné des conférences, émis des communiqués, pour défendre leurs politiques, faire valoir leurs points de vue. Pas le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. Et encore moins, le ministre tunisien de l’Economie et de la Planification.

Du côté du FMI, on compose avec les pratiques exemplaires, les pays porteurs d’innovation et d’espoir, pas avec les grincheux et les perdants, loosers en anglais. C’est l’ambiance et la culture du FMI et de la BM. Ici on n’aime pas l’énergie négative, on déteste la mendicité et l’esprit d’assisté. La délégation tunisienne présente à Washington a véhiculé cette démarche, qu’on le veuille ou non. On ne parle à personne, au cherche à minimiser les risques… et pas faire des vagues!

Rapprocher les points de vue

Plusieurs économistes et célébrités internationales se sont exprimés sur l’actuel blocage tuniso-tunisien, qui s’oppose au statu quo.

Olivier Blanchard, macro-économiste de renommée mondiale a déploré le blocage tunisien, et a dénoncé ouvertement le déni politique des enjeux économiques par le sommet de l’Etat dans notre pays.

J’ai lancé une initiative, avec un autre collègue universitaire pour célébrer les 65 ans de partenariat entre la Tunisie et le FMI, pour décrisper l’ambiance. Un gâteau et un protocole finement préparé pour ne pas offenser les susceptibilités. La directrice générale du FMI est venue saluer l’initiative, avec plein de délégations et personnalités agissantes (Christine Lagarde de la Banque centrale européenne, BCE, entre autres). Mais pas un seul de la délégation officielle tunisienne. Il y avait une sorte de prudence malsaine qui planait dès que tu parles à un membre de cette délégation.

Même l’ambassade de Tunisie à Washington a fait le mort, indifférence totale aux évènements. Ils ont peur de perdre leur poste, et on le comprend. Pourtant, un simple iftar communautaire au sein de l’ambassade de Tunisie à Washington aurait aplani plusieurs incompréhensions et fédéré les rangs pour défendre les intérêts de la Tunisie. Par du lobbying, de la communication, de la concertation…

Mme l’ambassadrice démontre qu’elle n’a pas assimilé son mandat et sa vocation…

Changer d’équipe, décoincer l’ambiance

Les temps sont difficiles pour la Tunisie. Sans aucun doute. Mais, est-ce qu’on peut travailler ensemble pour ne pas déclencher un autre choc, néfaste pour le pays.

Ce choc est pressenti par les services de renseignement italien, français… plusieurs pays ont plaidé la cause de Tunisie pour débloquer l’impasse et pour protéger les Tunisiens et les Tunisiennes.

Un défaut de paiement de la Tunisien aura des conséquences néfastes.

Un dinar divisé par deux (taux de change du dinar à 15 cents d’euro). Comme le Liban et l’Égypte, la monnaie locale ne vaut plus rien.

Et rebelote pour une autre décennie de trouble et d’instabilité, qui mettra la Tunisie dans les rangs de pays extrêmement pauvres, comme le Mali ou le Yémen.

Le président Kaïs Saïed comme sa délégation à Washington ont joué une stratégie perdant-perdant.

Avec mes collègues universitaires et économistes ici en Amérique du Nord, on plaide pour une stratégie gagnant-gagnant (win-win) pour la Tunisie de tout le monde, mais pas de ses élites qui peuvent partir à n’importe quel moment, ailleurs dans le monde, ni vu ni connu.

Protégeons la Tunisie profonde, changeons toutes ces équipes de négociations soutenues par les lobbys et les establishments.

* Economiste universitaire.

Blog de l’auteur : Economics for Tunisia, E4T.

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