Kaïs Saïed, les juifs, la Palestine et la duplicité de l’Occident

Le président de la république Kaïs Saïed n’a pas apprécié, c’est un euphémisme, les accusations d’antisémitisme lancées par certains dirigeants occidentaux au lendemain de l’attaque terroriste contre la synagogue de la Ghriba, à Djerba, au sud-est de la Tunisie, le 9 mai 2023, ayant fait cinq morts. (Illustration: captures d’écran). Vidéo.

Par Imed Bahri

En se rendant, samedi 13 mai, quatre jours après l’attaque, dans la ville de l’Ariana, pour, officiellement, faire le point sur la situation générale de la ville et écouter les préoccupations et les attentes de ses habitants, le chef de l’Etat avait en fait une autre idée en tête : répondre, encore une fois, à ces accusations qui lui sont visiblement restées en travers de la gorge.

Le choix de l’Ariana pour une telle visite a été bien étudié, car cette ville située au nord de Tunis a longtemps abrité une importante communauté juive, qui a toujours coexisté avec la majorité musulmane, sinon dans une parfaire entente, du moins sans heurts notables.

D’ailleurs le président de la république a profité de l’occasion pour évoquer la mémoire collective de la Tunisie, où juifs et musulmans cohabitaient en paix. Il a, dans ce contexte, rappelé des faits inoubliables qui témoignent de la solidarité profonde entre Tunisiens, musulmans et juifs.

«Ici, à cet endroit où je me trouve actuellement, des juifs tunisiens fuyant les forces nazies qui avaient installé leurs tentes ici ont trouvé refuge dans cette maison, la maison de mon grand-père», a indiqué le président Saïed dans une séquence vidéo de la visite diffusée sur la page Facebook de la présidence.

Il a voulu ainsi rappeler qu’aux heures de l’occupation nazie de la Tunisie, au début des années 1940, son père, Moncef Saïed, fut le bienveillant protecteur de la jeune Gisèle Halimi, habitant le quartier de Bab El-Khadra, à Tunis, devenue plus tard une militante féministe et femme politique française, tout en gardant des liens très forts avec sa Tunisie natale.

La jeune fille de 15 ans, à l’époque, était sous la menace d’une rafle et Moncef Saïed «tenait à l’accompagner au lycée avec sa bicyclette pour la protéger des Nazis», avait relaté celui qui allait devenir président de la république dans un débat télévisé du second tour de la présidentielle, le 11 octobre 2019.

La vidéo diffusée hier par la présidence est «une petite mais puissante réponse à ceux qui déforment l’histoire, falsifient les faits et répandent des mensonges», a déclaré hier le chef de l’État qui, comme à son habitude, n’a pas cru devoir nommer ces détracteurs qu’il pointe ainsi du doigt, se contentant de souligner que ces derniers «ne pensent qu’à conspirer contre l’État et à mettre en danger la paix sociale», termes qui, dans sa rhétorique habituelle, désignent ses opposants ou, plus généralement, tous ceux qui ne partagent pas ses positions, souvent d’ailleurs qualifiés de comploteurs, de traîtres, de corrompus et d’agents de l’étranger.

Le président Saïed a aussi profité de cette très opportune visite à l’Ariana pour envoyer un message aux capitales occidentales et aux parties étrangères qui n’hésitent pas à lancer de fausses accusations d’antisémitisme à l’encontre des Tunisiens. Et pour dénoncer ce qu’il a appelé «une grossière duplicité d’attitude et une mémoire courte pour comprendre l’histoire, la vraie histoire», dans une limpide allusion à la France et à l’Allemagne, dont des dirigeants, commentant l’attaque de Djerba, ont cru devoir dénoncer l’antisémitisme qui en serait l’inspirateur, oubliant les turpitudes de leurs propres histoires respectives où les épisodes de pogroms et d’holocaustes anti-juifs ne sont pas rares. C’est cette «vraie histoire» que Kaïs Saïed a voulu opposer à la «fausse» consistant à attribuer aux Tunisiens des sentiments anti-juifs, selon lui inexistants.

Le président va plus loin dans la dénonciation de la duplicité des dirigeants occidentaux. «Ces parties n’hésitent pas à porter de fausses accusations d’antisémitisme tout en faisant la sourde oreille lorsqu’il s’agit d’aborder le sort des Palestiniens qu’on tue chaque jour», a-t-il lancé, portant sa critique sur un plan plus clairement politique, en ajoutant, sur un ton de défi que «le peuple palestinien parviendra à triompher envers et contre tout et à récupérer sa terre spoliée».

Kaïs Saïed renvoie également, ici, au débat télévisé de la présidentielle cité plus haut où il avait lancé : «Je ne crois pas à la normalisation avec Israël. Il s’agit plutôt d’une trahison suprême !», estimant qu’Israël est un fait colonial, tant que les Palestiniens, spoliés de leurs territoires, sont empêchés de créer leur Etat.

Le chef de l’Etat, on ne le sait que trop, est un nationaliste arabe et il ne craint pas de susciter la polémique en affichant sa ferme opposition à la normalisation avec l’Etat hébreu, s’inscrivant en faux contre l’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme si chère aux Occidentaux.

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