La Tunisie et le débat en Europe sur la question migratoire

S’il est communément admis que les absents ont toujours tort, il est malheureusement difficile de déceler des indices d’une présence tunisienne suffisamment visible et audible dans le débat politique en Europe sur la question migratoire, qui est confisqué par l’extrême-droite européenne.

Par Elyes Kasri *

Jean-Luc Mélenchon, homme politique français de gauche et président du groupe parlementaire de La France Insoumise, a fait récemment une intervention intéressante sur la gestion européenne de la question migratoire en citant le piège tendu par l’extrême-droite européenne à la Tunisie pour l’amener à accepter l’installation sur son sol de camps d’internement de migrants vers l’Europe.

En effet, malgré tous les boniments et sourires d’hyène, le piège tendu par l’extrême-droite européenne à la Tunisie est susceptible de porter un préjudice irrémédiable tant à la stabilité de la Tunisie qu’à sa stature internationale et ses relations avec ses voisins nord-africains qui seront sommés de s’aligner sur le «précédent tunisien».

Une diplomatie aux abonnés absents

Pour leur part, les pays subsahariens, dont les ressortissants se trouveront bloqués en Tunisie, finiront par lui faire assumer la responsabilité de l’échec de leur politique de développement et de la perte de l’exutoire et la soupape de sécurité que représente la migration vers l’Europe.

La faiblesse de la politique étrangère tunisienne sur cette question dépasse l’appareil diplomatique tunisien qui n’est pas encore près de se relever des coups butoir et de l’effet dévastateur de la purge et de la gouvernance calamiteuse sous la Troïka (l’ancienne coalition gouvernementale ayant gouverné le pays entre 2011 et 2021, Ndlr) ainsi que l’influence occulte d’Ennahdha sous la politique ultérieure de consensus appelée «tawafoq» (consensus) mais qui était en réalité une hypocrisie et un «tanafoq» (hypocrisie) de la pire espèce.

La responsabilité incombe à toutes les parties gouvernementales, politiques et associatives en mesure de jouer un rôle pour défendre les droits des migrants tunisiens et ceux de la Tunisie en tant que victime de l’échec aussi bien des pays d’origine de ces migrants subsahariens qui n’ont pas su offrir les conditions de stabilité et de sédentarité à leurs citoyens que des pays de transit et en particulier la Libye et l’Algérie.

Il faut toujours rappeler que la Tunisie n’a aucune frontière commune avec les pays subsahariens dont sont originaires les migrants qui l’inondent et lui font assumer une lourde responsabilité internationale alors qu’elle a de la peine à faire face à une crise économique d’une gravité exceptionnelle.

Les conflits de compétence entre le ministère des Affaires étrangères, censé être également celui de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, et le ministère des Affaires sociales qui se démène pour maintenir sa rente institutionnelle et les nominations à l’étranger en dépit de son apport peu évident au bien-être des Tunisiens à l’étranger, à part quelques mécanismes obsolètes et des gesticulations occasionnelles et estivales, est l’une des raisons de l’efficacité très insuffisante de l’action gouvernementale tunisienne à l’étranger.

Une responsabilité collective

De leur côté, les partis politiques dont le nombre dépasse deux cents et les milliers d’associations civiles doivent assumer leur part de responsabilité politique et morale pour n’avoir pas été en mesure de raviver, au sein des diverses familles politiques européennes, notamment le centre, la gauche et les verts, le débat sur la gestion de la question migratoire. en faisant valoir la responsabilité européenne dans l’échec de la politique de développement international avec l’Afrique et les abus qu’elle peut occasionner à l’encontre des droits et de la dignité des migrants au regard des conventions internationales et européennes des droits de l’homme.

Alors que l’Allemagne, avec tout son poids politique et économique en Europe, est dirigée par une coalition menée par le Parti social démocrate SPD et que le ministère allemand des Affaires étrangères est dirigé par une responsable du parti des verts, tous les deux historiquement opposés à la politique d’exclusion et de stigmatisation de l’extrême-droite européenne, l’ambassade de Tunisie à Berlin est restée, en dépit de tout bon sens, sans titulaire pendant bientôt deux ans. De nombreux autres postes diplomatiques et consulaires sont encore dans l’attente des nouveaux titulaires.

Plus que jamais, la Tunisie a besoin d’une politique étrangère dynamique et concertée entre les différents intervenants gouvernementaux, politiques et associatifs pour défendre les droits des Tunisiens à l’étranger qui, même s’ils sont en situation irrégulière, n’en restent pas moins des citoyens et des êtres humains, de même que les intérêts supérieurs de la Tunisie pour lui permettre de faire face au piège qui lui est tendu et au chantage auquel elle est sournoisement soumise par une extrême droite xénophobe, égoïste et foncièrement raciste en dépit des artifices de langage et des dénégations du bout des lèvres qui ne trompent personne, du moins ceux dotés d’une intelligence moyenne.

Mon expérience en tant qu’ambassadeur à Berlin juste après la vague migratoire post révolution et la succession d’attentats meurtriers commis par des Tunisiens à Nice (14 juillet 2016) et Berlin (19 décembre 2016) m’ont permis de mesurer l’intérêt de raviver le débat entre les divers courants politiques sur la question de la migration irrégulière et l’apport que peuvent offrir les partis de gauche et les verts pour calmer les ardeurs de l’extrême-droite et la tentation xénophobe susceptible d’être exacerbée au sein des partis du centre et de la droite traditionnelle.

S’il est communément admis que les absents ont toujours tort, il est malheureusement difficile de déceler des indices d’une présence tunisienne suffisamment visible et audible dans le débat politique en Europe sur la question migratoire.

* Ancien ambassadeur.

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