Kaïs Saïed entre l’urgence des réformes et le frein des calculs électoraux  

Est-il normal qu’en Tunisie, on hésite encore à réduire les dépenses de l’Etat, en diminuant ses charges, pour la simple raison que l’on a peur de mécontenter le «peuple», dans un pays où, à titre d’exemple, le prix d’une baguette de pain ne dépasse pas celui d’une cigarette ou de quelques bonbons ? Les calculs électoraux sont toujours de mauvais conseil…   

Par Salah El-Gharbi *

«Ce n’est pas la faute du public s’il demande des sottises, mais de ceux qui ne savent pas lui offrir autre chose», écrit Cervantès. Car une autorité sage et responsable est une autorité qui prend l’initiative, anticipe et éclaire, qui ne se laisse ni se corrompre par les caprices des masses, ni se soumettre à la tyrannie de la foule. Sa véritable mission consisterait, non pas à tergiverser mais à résister à la tentation des solutions faciles et à faire preuve de courage, d’audace et d’imagination, surtout lorsque l’intérêt général est menacé.

Certes, sous «l’ancien régime», aussi volontaire fut-il, le pouvoir faisait de temps à autre preuve d’atermoiements, recourait à des demi-mesures par frilosité et était dans la procrastination en reportant à demain ce qui aurait dû être fait la veille. Une fois, sa légitimité historique blêmie, il était réduit à quémander l’assentiment du «peuple» et à devancer ses caprices. Et cette politique de l’évitement, de la nonchalance et de la couardise, tout en étant fatale à ce régime, elle a été préjudiciable au devenir de la nation, laquelle continue aujourd’hui à en payer les frais.

Un pays bloqué par des calculs électoraux  

Si avant le pouvoir, jouissant d’une certaine stabilité, pouvait se targuer d’avoir, sous son autorité, des compétences capables d’atténuer les conséquences des crises et de bricoler des solutions d’urgence aux difficultés qu’il rencontre, aujourd’hui, le pays, enlisé dans une sorte d’immobilisme total, se laisse bercer par les fumeuses promesses et les diarrhées verbales.

Il est vrai qu’au sommet de l’Etat, on reçoit, on écoute et on discute sans que les vraies réponses aux difficultés qui s’intensifient, jour après jour, soient trouvées. Pourquoi ? Il semblerait que la faute incombe au fait que la crise n’aurait pas choisi le bon moment et qu’elle vienne de pointer du nez alors que l’on se prépare à organiser, dans un an, les élections présidentielles.

Ainsi, pour le pouvoir en place, prendre aujourd’hui des mesures exigeantes et courageuses, certes peu populaires, mais aussi salutaires pour le pays, ce serait prendre des risques en s’aliénant une partie de la population, semer le doute auprès de certaines couches de la population qui lui seraient acquises.

Par conséquent, l’attentisme serait la solution que le pouvoir semble préconiser. Dès lors, pour secourir l’économie moribonde, on préfère recourir à l’incantation, aux discours soporifiques et à la diversion. Alors que le pays est sous perfusion, on préfère attendre qu’un miracle se produise, que la bienveillance divine prenne soin de nous plutôt que de réagir, en prenant des initiatives salutaires pour la nation.

Le souvenir de l’émeute du pain de 1984 semble tétaniser le chef de l’Etat. Attentif au baromètre des sondages, ce dernier redoute éventuelle chute de sa popularité, que la situation puisse lui échapper, que l’espoir de briguer un nouveau mandat ne se volatilise.

Des vessies pour des lanternes

Contrairement à d’autres qui trouvent que la crainte du chef de l’Etat soit légitime, nous pensons que ce dernier sous-estime la capacité des masses à faire preuve de discernement, dès lors qu’on leur explique, qu’on s’adresse à leur intelligence et non pas à leurs passions. Car, un bon dirigeant politique est celui qui parler à ses concitoyens le langage de la vérité, le contraire serait faire preuve de mépris à leur égard. Car sa mission consisterait à responsabiliser la population et à l’impliquer dans le processus des réformes à mener aussi impopulaires fussent-elles et non pas à louvoyer, comme de leur vendre des vessies pour des lanternes.

Au lieu de vociférer contre le FMI, au nom d’une supposée souveraineté nationale, il aurait été plus sensé de s’interroger sur l’Etat du pays frappé d’immobilisme et ce depuis des décennies. Jusqu’à quand, sous prétexte de ne pas froisser le gentil peuple, on est réduit à rafistoler, fermer les yeux devant la crise, devenue cyclique, de l’économie, faire la sourde oreille aux conseils des experts.

Est-il normal qu’on hésite à réduire les dépenses de l’Etat, en diminuant ses charges, pour la simple raison que l’on a peur de mécontenter le «peuple», dans un pays où, à titre d’exemple, le prix d’une baguette ne dépasse pas celui d’une cigarette ou de quelques bonbons ?

Le statu quo qui dure depuis plus de deux décennies, qu’a-t-il produit comme effet d’autre que celui de crever le budget de l’Etat, de favoriser le gaspillage, de remplir les poches de plusieurs catégories de la population qui trouvent toujours le moyen de profiter du système (pâtissier, boulangers, restaurateurs, hôteliers…).

Augmenter d’une manière homéopathique le prix de la baguette, à raison de 10 millimes tous les trois mois, tout en augmentant les bas salaires et tout en aidant les familles les plus nécessiteuses, ne pourrait que résoudre, à moyen terme, une des difficultés budgétaires  que le pays vit en ce moment et ne nuirait aucunement à la popularité du chef de l’Etat.

Un dirigeant politique averti, digne de ce nom, devrait être animé d’une véritable ambition pour son pays. La gloire ne se compte au nombre d’années passées à la tête de l’Etat. Des vingt-trois années que Ben Ali a passées à la tête de l’Etat, l’Histoire ne gardera que les trois premières. Tout le reste n’était qu’arrogance et cupidité.

La vraie gloire, cela se mérite non pas par le verbiage mais par les vrais actes audacieux au profit de la communauté nationale surtout que le pays a, plus que jamais, besoin d’une vraie dynamique réformatrice dans tous les domaines avec un personnel politique qualifié, volontaire et imaginatif.

* Universitaire et écrivain.   

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