Violences urbaines en France : Saint-Sarkozy priez pour nous !

Violences urbaines en France : Saint-Sarkozy priez pour nous ! Ça recommence. Les violences urbaines en France ont atteint un pic et ne semblent pas vouloir en redescendre facilement. Cela suite au décès d’un jeune Français d’origine algérienne prénommé Nahel, au cours d’un contrôle routier effectué par la police en banlieue parisienne.

Par Jean-Guillaume Lozato *

Mardi 27 juin. Nanterre. Petite couronne de la région parisienne. Un jeune homme encore adolescent (17 ans) a perdu la vie suite à un contrôle de police qui a mal tourné. La faute à un délit de fuite consécutif à un refus d’obtempérer alors qu’il conduisait une voiture sans permis. La faute à une balle tirée par un policier en plein exercice de ses fonctions, reçue par le pas encore majeur Nahel ou Naël. Un tir dont le retentissement médiatique ne se limitera pas à la simple détonation mais s’apparentera à une déflagration sociétale si les choses ne sont pas prises en main dès maintenant et de façon le plus rapidement possible efficace tant dans la fermeté que dans la bienveillance objective.

Consécutivement à cet épisode malheureux ont éclaté des soulèvements un peu partout dans Nanterre. Puis promptement sur plusieurs communes de banlieue. Un fléau qui a atteint à l’heure actuelle plusieurs départements.

Depuis ce fameux 27 juin, les actes les plus répréhensibles se succèdent : dégradations du milieu urbain, vitrines brisées, tramways et autobus caillassés ou incendiés, commerces pillés, passants menacés, agressions suivies de vols à l’arraché.

Cet ensauvagement décomplexé relève de conséquences aussi bien récentes qu’enracinées sur le territoire hexagonal.

Des précédents fâcheux

Bien évidemment, les émeutes urbaines de l’automne 2005 reviennent hanter les esprits. Et même les lieux à en juger le vandalisme pratiqué dans la nuit de jeudi à vendredi sur Aulnay-sous-Bois et Clichy-sous-Bois, périmètre d’où étaient partis les premières étincelles liées au décès de Bouna et Ziyed (jeunes Français respectivement d’origine mauritanienne et tunisienne), morts électrocutés en voulant échapper à un contrôle de police car s’étant réfugiés sur le toit d’un transformateur électrique. Leur compagnon d’infortune Muhittin Altun, Turc lui aussi mineur, s’en sortira grièvement blessé. S’arrêter à ce rappel serait insuffisant.

En France, la délinquance en général et chez les jeunes en particulier ne correspond ni à un épiphénomène, ni à un phénomène nouveau. Que ce soit sous la gouvernance Emmanuel Macron ou sous d’autres mandats présidentiels, des heurts violents avec les forces de l’ordre s’étaient déjà produits dès la fin du dix-neuvième siècle, pour atteindre son point culminant dans le quartier parisien de Ménilmontant avec le gang des Apaches, Casque d’Or dans les années 1900.Puis vint l’époque du banditisme à coloration plus «exotique» par l’entremise des Corses (à Marseille) et des Italiens (Nogent, Paris, Marseille, Nice). Quelques décennies plus tard, les Blousons Noirs se sont illustrés avant de laisser la place à la fin des années 70 aux bandes de skinheads, aux «Requins vicieux» des années 80, à la Bande de la banane (Paris 11e et Paris 20e) et aux bandes de Mantes-la-Jolie, Puteaux, Saint-Denis, Montreuil, Les Mureaux, Argenteuil.

Une forte prédominance parisienne mais une importante touche provinciale aussi, comme si la délinquance aussi mettait en œuvre une décentralisation (des villes comme Marseille avec ses quartiers Nord, une ville comme Tourcoing ou encore Nice avec l’Ariane, la rue Vernier ou les Moulins rivalisent avec la Capitale).

Ainsi, depuis les années 70, de véritables révoltes se sont organisées, à l’image des périphéries lyonnaise (Vénissieux en 1979) et strasbourgeoise. Des actes qui ont changé d’échelle, passant d’épisodiques à récurrents, animant la scène télévisuelle et politique de débats interminables.

Au pays de la Révolution Française et de Mai 68, les grands ensembles sont devenus les porte-drapeaux de frustrations et autres incapacités communicatives, avant même les revendications.

Les racines du mal

Les racines du mal sont donc à première vue historiques. Même si s’attarder sur la chronologie ne garantit pas l’accès à toutes les clefs de compréhension.

Historiquement, la France a été marquée par une succession d’accalmies et de violences. Y compris dans la ville d’Avignon en sa période dite de résidence des papes, décrite à l’époque comme un lieu des plus dangereux par l’écrivain florentin Dante Alighieri. La Saint-Barthélémy sur fond de persécutions religieuses. Les jacqueries pour ce qui est de la révolte paysanne. Des brigands célèbres comme Cartouche et Louis Mandrin. Puis l’année 1789 puis la période de la Terreur. Il est indéniable que l’espace bleu-blanc-rouge a connu des secousses telluriques. Mais très peu de nations dans le monde peuvent se vanter d’avoir connu une histoire continuellement sereine.  

Si l’historicité ne nous apporte pas plus de réponses, alors attachons-nous à ce qui s’apparente au géographique. Avec un recours à l’étymologie pour nous apercevoir que le mot «banlieue» recèle des pistes intéressantes.

Etymologiquement et géographiquement, ce vocable agit comme un vrai mot-valise puisque l’étymon «ban» provient du Gaulois. D’où une origine très lointaine et autochtone – correspondant à la traduction de «tombeau» – accolée à «lieue» ou «lieu» renvoyant à la localisation.

Cette forme anticipée de déterminisme géo-spatial s’est prolongée dans le temps, accompagnée par l’adjectif «banlieusard», sorte de gentilé plus ou moins officiel, beaucoup plus péjoratif que le qualificatif de «périphérique». Ceci renvoyant automatiquement vers un monde situé en marge. A noter le suffixe «ard» renforçant la négativité de tout ce qui est à rattacher à une zone où l’accès aux commodités était déjà rendu compliqué voire inaccessible dès le Moyen-Âge, plus particulièrement sur ses flancs Nord et Est où les habitants ne pouvaient disposer comme ils le voulaient d’un pressoir.

L’isolement spatial date donc de l’époque médiévale. A cet éloignement s’est ajouté l’isolement social, «ban» faisant penser à «bannir», à «être mis au ban» ou encore à «être en rupture de ban».

Le caractère interethnique de la pègre

Plus tard cette hérédité de résidence discriminante s’est transmise à des générations de travailleurs immigrés et de leurs descendants. Le Nogent-sur-Marne, devenue une commune cossue à l’heure actuelle, savamment narré par François Cavanna dans son roman autobiographique Les Ritals nous plonge au cœur d’une communauté italienne où des bandes de voyous puis de malfrats se constituaient. Quelques générations plus tard, le plateau Vitry/Ivry/Choisy le Roi/Villejuif a vu grandir le gangster italien Antonio Ferrara qui a su fédérer des membres à la fois d’origine italienne, maghrébine et corse au sein de la pègre. Ce qui nous permet de relever le caractère interethnique inédit de cette «fusion». Toutefois nous nous trouvons dans l’obligation de nous rendre à une évidence: les difficultés d’appréhension et d’intégration concernant les ressortissants originaires du continent africain.

La notion d’Afrique est vaste. Elle illustre à elle seule les problèmes d’insertion de tous les gens arrivés en France. Si l’on prend en compte le caractère ethno-spatial, les problèmes touchent aussi bien les Arabo-Berbères que les Subsahariens.

A partir de la fin de l’ère coloniale les gangsters juifs séfarades se sont fait remarquer dans l’Hexagone, comme on peut le contempler dans le film Le Grand Pardon.

Plus tard le Gang des barbares dirigés par Youssouf Fofana, jeune Français d’origine malienne, ainsi que divers groupes se donnant rendez-vous à La Défense, ont mis en lumière les «Blacks».

Quant aux bandes écumant Nice dans les années 85/95, elles étaient composées très essentiellement de Beurs. Ce qui démontre que malgré les différences d’obédience religieuses et d’appartenance dite raciale par certains intervenants, les problèmes identiques se posaient pour chaque communauté nouvellement arrivée, avec comme point d’intersection la domiciliation dans des zones excentrées par rapport aux centres des villes.

Conséquences et faux débats

Le problème a été que les «années Giscard», mandat sous lequel les premiers flux impressionnants de regroupement familial sont apparus, un premier grand plan banlieue avait été déployé. Avec de timides résultats. Même pendant les quatorze années de socialisme mitterrandien, les inégalités ont perduré malgré quelques avancées comme notamment l’amélioration des conditions régissant la carte de séjour.

Certes, l’immigration conséquente n’étant pas forcément compatible avec les ralentissements économiques a alimenté les angoisses et les discours des politiciens français de toutes les tendances. Mais la notion d’échec de l’intégration est devenue le nœud gordien des débats publics, passant de l’état de problématique au statut d’affaire d’État.

En 2023, force est de constater que depuis le 11 septembre 2001 la jeunesse maghrébine et musulmane se voit regardée avec une double circonspection qui est allée en s’accélérant. Néanmoins, la victimisation tout comme le racisme ont leurs limites. Des limites délimités par le bon sens, lequel peut nous faire constater que le phénomène de la délinquance d’origine étrangère n’est pas nouveau puisque même dans un endroit de France comme la Charente Maritime, qui n’a jamais vraiment polarisé de manière importante les flux migratoires, plus de la moitié des détenus écroués sur la période 1899-1934 portaient des patronymes étrangers, pour la plupart italiens ou corses, d’autres portant des noms espagnols. Une réalité statistique rappelant que beaucoup de gangsters à Chicago étaient d’origine italienne, mais aussi suédoise, irlandaise ou hongroise…

Le vrai fil conducteur se doit d’être la gestion des jeunes et la lutte contre la drogue.

Evoquer seulement l’origine des émeutiers rend le débat contre-productif. Des gens d’origine étrangères se comptent également parmi les victimes, à l’image de cette buraliste nommée Souad Dellidj et dont le commerce a été mis à sac à Marseille. Des Français composent environ 90% des vandales et pilleurs incriminés, d’après le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin. Dont un grand nombre seraient d’origine étrangère ?

Il est vital d’enregistrer un aspect important : il s’agit bien d’un problème avant tout générationnel, avant d’être social, avec par exemple des Maghrébins installés en France se déclinant sur cinq générations. Nous sommes en face d’un débat franco-français. Avec des Français mineurs ou très jeunes majeurs impatients de prendre le wagon de la réussite mais dont l’ascension est retardée par le manque de diplômes, la délinquance ou le manque de perspectives dans leur environnement direct souvent enclavé.

La mort de Nahel a été une étincelle. Certains la décrivent comme un prétexte. D’autres comme la faute de trop comme Moustapha Mebarek, 52 ans, en France depuis l’école primaire, Oranais ayant vécu à Nanterre, Puteaux, Saint-Ouen et Marseille : «A Nanterre il n’y a pas qu’un seul endroit chaud. Il y en a cinq ou six. De toutes façons ça pouvait péter n’importe quand donc il fallait une occasion». Ce quinquagénaire, sosie de Charles Bronson, affirme «ne pas être étonné» et pense que «les jeunes peuvent faire pire qu’en 2005 même s’ils sont plus égoïstes qu’avant». Selon lui la police «aura du mal, elle aura besoin de l’aide de l’armée. Et en plus il y a des endroits pires comme la cité des Canibouts dans la même ville» (un reportage y faisait déjà allusion il y a une quarantaine d’année, consultable sur le site de l’INA).

Cette révolte d’une partie de la jeunesse soulève des interrogations, mais désorientées à l’image du flou entourant les revendications. «Ce sont des cons ceux qui brûlent tout. En fait pas mieux que les Libyens qui pratiquent le saccage et l’expropriation vis-à-vis de leurs compatriotes noirs sous prétexte qu’ils soutenaient tous Kadhafi. Pourquoi ? Parce que finalement ils se font ça entre citoyens français. Les types comme moi nés à l’extérieur et arrivés ici à leur majorité pour bosser on ne les voit pas au milieu de tout ça», argumente un enseignant tunisien désirant conserver l’anonymat.

Un autre enseignant s’exprimant anonymement livre une explication intéressante : «Je me définis comme franco-breton si vous voulez tout savoir ! Je compatis pour le décès d’un gamin de dix-sept ans et je regrette s’il y a une bavure policière, surtout que j’étais assez militant dans ma jeunesse, élevés par des parents soixante-huitards. Mais je découvre qu’en fait on est tous Français sans que tout le monde ne se sente Français lorsque je regarde les débats télévisés. Alors que le plus urgent c’est lutter contre l’oisiveté et surtout pour l’accès à l’emploi. Pas étonnant que de plus en plus d’enseignants votent RN et qu’en parallèle tant de voiles et d’abayas fleurissent dans les cours de récréation. Chacun est en train de s’embastiller, c’est-à-dire s’emmurer dans une image, une communauté, sans laisser une issue».

Si nous devions conclure provisoirement face à l’émoi provoqué par la mort d’un jeune homme d’origine étrangère, la tâche serait plurielle, très loin d’être évidente.

Instinctivement, il est facile de basculer dans un sentimentalisme compatissant envers le mort et sa famille. Ceci ayant pour effet de reporter les élans de compassion pourtant nécessaires envers les commerçants ruinés, les travailleurs dont le véhicule a été brûlé, les maires qui ont dû subir menaces et agressions.

N’oublions pas non plus, pour maintenir l’objectivité la plus grande possible, l’arène politique ressemble à celle des jeux du cirque : on s’apostrophe, on se dénigre, LFI et Jean-Luc Mélenchon ne veulent surtout pas lancer des appels au calme et prônent le retour à la Constitution de 1793 stipulant le droit à l’insurrection; le président en exercice commet des erreurs de communication qui encouragent indirectement à affronter les policiers; chacun reporte la faute sur l’autre.

Il est à remarquer que pendant ce temps les élus agressés appartiennent à différents partis, ce qui prouve la fracture entre les jeunes et le monde politique traditionnel.

Etablir des parallèles avec des affaires comme Dreyfus, Sacco et Vanzetti, Malek Oussekine ? Oui et non. Oui car elles prouvent que chaque communauté a eu sa stigmatisation, que ce n’est pas le seul apanage des discriminé(e)s d’aujourd’hui. Non car chaque contexte est trop spécifique pour en tirer des conclusions.

Actuellement, une génération française est en train de pratiquer l’autodestruction. Contrairement à 2005 la situation économique générale a empiré à partir de 2008 (crise des Subprimes dont les effets se sont étalés longtemps, crise sanitaire…), sans compter les réformes du bac qui sont mal passées.

Sabrina, documentaliste d’origine algérienne née sur le territoire français, s’exprime sur ce point : «Avant, j’étais en Seine-Saint-Denis et à l’époque il y avait plus de racisme que maintenant, de discrimination à l’embauche. Mais maintenant c’est vraiment pour tous les jeunes que c’est difficile, y compris pour ceux dont les familles sont Françaises depuis toujours et qui s’appellent Pierre, Marie ou Dupont. Ce qui m’a aidée c’est étudier et surtout les passerelles entre ma banlieue et les classes prépas avec la discrimination positive».

Sarkozy aurait mieux géré l’affaire

Ce rappel, de la part de la jeune femme de 34 ans, d’un dispositif destiné à aider la réussite de chacun montre que des efforts avaient été tentés dans une région parisienne qui compte un lycée Mouloudji (dans les Hauts-de-Seine) et une médiathèque Assia Djebbar (Paris 20e). Dans un pays qui a compté deux présidents de la République aux patronymes étrangers : Léon Gambetta et Nicolas Sarkozy. Ce dernier avait justement dû gérer les émeutes urbaines de l’automne 2005 en tant que ministre de l’Intérieur. Il semblerait que la France ait besoin d’un homme de sa compétence pour conseiller Emmanuel Macron sur ce point. Cela pallierait les hésitations présidentielles ainsi que celles de Gérald Darmanin, qui ne jouit de crédibilité ni auprès d’éventuels appuis politiciens, ni auprès de la population en général. A moins que Sarkozy, lassé de l’acharnement médiatique et judiciaire dont il est l’objet, ne se réfugie derrière ses Ray Ban «bling-bling» et ne décline l’offre tout en observant le spectacle. Ce qui serait dommage car il pourrait être le meilleur conseiller sécuritaire. Saint-Sarközy venez en aide aux incompétents. 

«Darmanin, il me fait marrer. Il a déjà été soupçonné de harcèlement sexuel et en plus il s’appelle en fait Gérald Moussa Darmanin donc je n’ai pas d’ordre à recevoir de lui. Et Eric Ciotti, il donne des leçons alors qu’il n’a même pas un nom français», s’insurge un éducateur sportif d’origine sénégalaise.

Nous sommes entrés dans une ère d’essentialisation. Contrairement à 2005 où elle relevait essentiellement de la crise ethnique (un article du Monde de l’été 2005 avait mis en relief les tensions entre Afro-Français, Franco-Maghrébins d’un côté et jeunes Français de souche au look bourgeois ou «skater» de l’autre), la racialisation du débat ne semble plus la priorité. Les filles se sont invitées aussi au festival des incivilités à en juger par les statistiques des interpellations.

Tandis que la religion avait auparavant attisé le feu social. Parmi les exactions des casseurs, signalons le saccage d’une librairie catholique à Nantes pendant que certains avaient tenté de détruire les portes d’accès de l’immeuble où est basée l’église Notre-Dame de Lourdes dans le 20e arrondissement. Il y a quelques jours, c’est la mosquée d’Auch qui a été couverte de tags des plus malveillants, alors que le mémorial de la déportation des Juifs a été dégradé à Nanterre. Si jamais le fait religieux entre dans le débat de la conflictualité alors là on passera d’une guerre civique à une guerre civile.

Dorénavant Nahel est enterré. En France. Sa terre natale. Laissons-le reposer en paix et honorons sa mémoire en édifiant les bases de vrais débats sans visées uniquement électoralistes, sans instrumentaliser son décès. Et que les jeunes patientent afin de mieux se construire un avenir.

* Universitaire et écrivain.

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