A l’exception de la théorie du complot qu’il nous sert à propos de tous les sujets et dont il croit pouvoir justifier son très maigre bilan dans tous les domaines, le président de la république Kaïs Saïed a-t-il vraiment autre chose à proposer aux Tunisiens, et d’abord une vision claire de leurs problèmes actuels et des solutions concrètes à leur apporter ?
Par Imed Bahri
Cette question, à laquelle nous nous garderions de répondre, s’impose à nous à chaque fois que nous écoutons le chef de l’Etat entonner la rengaine des comploteurs cherchant à affamer les Tunisiens, comme il l’a fait lundi 10 juillet 2023, en parlant, encore une fois, des parties cherchant à raviver les tensions sociales, que ce soit par la spéculation ou la pénurie de produits de première nécessité, ou en coupant l’eau potable «sous prétexte d’opérations régulières d’entretien».
Ces parties travaillent quotidiennement à persécuter le peuple tunisien afin de semer le chaos, d’échapper à la justice et de revenir au pouvoir, a expliqué le président de la République en recevant au palais de Carthage le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Moncef Kchaou.
Des comploteurs à tous les étages
Le chef de l’Etat ne cite pas nommément ces «parties» et on se demande qu’est-ce qu’il attend pour les démasquer et à les mettre hors d’état de nuire, alors qu’il a en main tous les leviers du pouvoir dans le pays.
Ce qui est plus grave encore c’est que le doigt accusateur de Saïed semble désigner à la vindicte populaire, jamais ouvertement mais toujours de manière allusive, ses propres opposants.
Or, ses opposants les plus en vue et les plus influents sont en prison depuis bientôt cinq mois dans le cadre de l’affaire dite de complot contre l’Etat, à propos de laquelle l’Etat lui-même refuse de communiquer alors que les avocats des accusés parlent de dossiers vides et de parodie de justice. Comment donc ces derniers pouvaient-ils être derrière les pénuries des produits de première nécessité et les coupures d’eau potable, comme le laisse entendre le président Saïed, alors qu’ils sont derrière les barreaux depuis bientôt cinq mois ?
Dans ce même contexte, tout le monde à Tunis, y compris au sein du gouvernement et de l’administration publique, sait que les pénuries de produits de première nécessité sont dues aux difficultés financières de l’Etat qui n’a pas suffisamment de fonds en devises pour acheter l’énergie, le blé, le café, le thé, le sucre et les médicaments dont le pays a besoin. Tout le monde sait également que tous ces produits sont importés et distribués par des institutions publiques et sous le contrôle direct de l’Etat, donc du président Saïed lui-même qui en tient tous les leviers.
De même, s’agissant des coupures d’eau potable enregistrées dans certaines régions du pays et dont souffrent les citoyens en pleine canicule estivale, tout le monde à Tunis sait qu’elles sont dues au manque d’eau dans les barrages et à la détérioration du réseau de distribution, dont certaines parties sont vieilles de trente à quarante ans et où les taux de fuite dépassent parfois 40%.
Qui gouverne le pays ?
A moins d’admettre que les responsables de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede), relevant du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, sont tous des opposants politiques au président de la république, on peut difficilement donner crédit à la thèse développée hier par ce dernier selon laquelle ces technocrates procéderaient aux coupures d’eau potable «sous prétexte d’opérations régulières d’entretien», dans le but d’alimenter la colère populaire contre le pouvoir en place.
Par ailleurs, le lien qu’établit le président de la république entre les pénuries de produits de première nécessité et l’affaire de complot contre l’Etat dans laquelle sont poursuivies les figures les plus en vue de l’opposition peut être difficilement accepté, à moins d’admettre que Kamel Eltaief, Khayam Turki, Issam Chebbi, Abdelhamid Jelassi, Chaima Issa et tous les autres opposants emprisonnés ont une mainmise sur les principaux rouages de l’Etat et manipulent tous les hauts fonctionnaires. Si c’est le cas, on ne demanderait qu’a en être convaincus par des preuves concrets qu’un Etat est censé pouvoir fournir à l’opinion publique. Mais ces preuves, on les attend toujours…
Sur un autre plan, donner crédit à une telle fable c’est admettre que le président Saïed ne contrôle pas grand-chose et la situation dans le pays serait encore plus grave qu’on le pense.
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