Ainsi qu’il apparaît de la lecture des livres d’Histoire, au moyen-âge les guerres pour le pouvoir en Europe ne furent ni plus moins cruelles que le monde islamique; et les mœurs furent généralement comparables.
Par Dr Mounir Hanablia
En 1066, l’Angleterre est tombée aux mains des Normands de William dit le Conquérant dont le couronnement quelques semaines après la bataille de Hastings consacra son autorité royale sur le pays. Mais cette conquête a provoqué un sérieux problème juridique international puisque étant Roi en Angleterre, il n’en était pas moins Duc en Normandie, et en tant que tel, vassal du Roi de France, auquel il devait hommage, fidélité, et obéissance. Mais depuis sa mort en 1089, et jusqu’à l’année 1141, l’Angleterre et la Normandie ont été le théâtre d’affrontements armés pour le pouvoir politique entre les membres de la famille ducale.
Les événements d’Angleterre ont toujours eu des conséquences que les alliances matrimoniales n’ont fait que compliquer, en Flandre, et dans les provinces vassales du Roi de France, mais également dans le Royaume d’Ecosse, au Pays de Galles, et dans le Saint Empire Romain Germanique.
Des batailles telles que celles de Tinchebray en 1106 et celle de Brémule en 1119, ou bien des traités tels celui d’Alton en 1101 ne résolurent que provisoirement les problèmes.
Guerres de succession
Après la mort du Roi Henry I, qui dépourvu d’héritier légitime mâle depuis le décès de son fils William Atheling dans le naufrage du bateau dit «la Nef Blanche», avait réglé la question de sa succession au bénéfice de sa fille Mathilde, le cousin de cette dernière, William de Blois, par un véritable coup d’Etat, se proclama roi d’Angleterre. La guerre civile qui en résulta connue sous le nom d’Anarchie dura 6 ans et se termina par le traité de Wallingford qui reconnaissait le droit à la succession au trône d’Angleterre de Henry, fils de Mathilde et du comte d’Anjou Geoffrey le Bel, qui deviendra le Roi Henry II.
Si beaucoup ont accusé Stephen de Blois de naïveté et de faiblesse, particulièrement en s’abstenant de capturer sa cousine Mathilde qui était à sa merci lors du siège d’Oxford, l’époque n’en fut pas moins propice aux cruautés les plus extrêmes. Charles du Danemark dit «le bon», comte de Flandre, est assassiné durant la messe dans l’église Saint Gratien de Bruges. Son meurtrier, Burkhardt, est livré à un chien sauvage qui lui dévore le visage chaque fois qu’il est tourmenté par des excités. L’instigateur du meurtre, Berthold, est cloué sur une grande roue et criblé de flèches par la foule en colère après avoir eu le crâne fracassé.
Les exemples abondent des lieux de culte profanés et des exactions commises sur les civils par les soldats. Cependant il convient de signaler également les accords issus des négociations souvent exigées par les seigneurs en arme soucieux sur le champ de bataille d’épargner l’effusion de sang. Ce n’est pas là l’habitude des Vikings, Normands, ou Saxons. Est-ce aux Croisades au contact avec les musulmans que les Anglo-Normands ont commencé à y avoir recours? Ainsi celui convenu à Alton entre Robert Courteheuse et son frère Henry I réunifiant le pouvoir en Angleterre et en Normandie au bénéfice du seul héritier mâle vivant, du moment que l’un ou l’autre n’en disposerait pas, n’est pas respecté par le Roi quand après la disparition de son propre fils, son neveu demeure le seul descendant légitime issu des deux frères; entretemps il avait en effet remporté la bataille de Tinchebray qui lui assurait la victoire sur ses adversaires de part et d’autre de la Manche.
Transition pacifique du pouvoir
A l’inverse, l’accord dit de Wallingford, excluant à la mort de Stephen de Blois, son fils Eustace de Boulogne, de la couronne, au bénéfice de son neveu Henry fils de Mathilde, permit effectivement de mettre fin à la guerre civile et d’assurer une transition pacifique du pouvoir. Cela rappelle étrangement ce qui s’était passé à Siffin lorsqu’on avait accroché des Coran à l’extrémité des lances pour appeler à la négociation et éviter le bain de sang entre l’armée de Syrie et celle d’Irak. Ce fut l’acte de naissance de la dynastie Omeyyade.
Néanmoins en Angleterre, du fait de l’existence d’une institution indépendante du pouvoir politique, l’Église, alors présidée par Anselme, un compromis fut trouvé relativement à la nomination des prélats, mais ceux-ci devaient obtenir en tant que représentants d’une institution possédant des biens matériels, l’investiture de l’Etat. Ce fut le début de la querelle des investitures qui allait connaître dix ans plus tard avec Thomas Becket des développements dramatiques. Ce fut aussi celui de la séparation des pouvoirs, prélude à l’apparition des institutions politiques modernes.
Avec Roger de Salisbury, cet esprit génial, la comptabilité de l’Etat acquerrait des bases rationnelles grâce à l’échiquier, cette table recouverte d’une nappe en damier calculant l’impôt reçu et en demandant des comptes à ceux qui le prélevaient, les Sheriffs; de nos jours le ministre des finances britanniques est toujours qualifié de chancelier de l’Echiquier.
Finalement, il importe peu d’affirmer ainsi que le fait l’auteur que la disparition tragique de l’héritier du trône William Atheling dans le naufrage d’un bateau fracassé contre un rocher au large de Barfleur par la faute d’un équipage ivre, déclencha les luttes pour le pouvoir. Il est douteux que ce prince, s’il avait vécu, eût pu museler les ambitions puissantes qui se sont manifestées après lui, ni éviter le conflit avec les Français, et la politique anglaise sur ce plan ne varia pas, elle privilégia toujours l’alliance avec l’Anjou, le Maine, la Bretagne et la Flandre pour protéger la Normandie des menées du Roi de France.
Accommodements pragmatiques avec les réalités
Le mariage de Henry II avec Aliénor amena il est vrai l’Aquitaine dans l’escarcelle anglaise et fixa les frontières du Royaume jusqu’aux Pyrénées. Néanmoins on peine à imaginer un développement identique des institutions de l’Etat anglais qui ont influencé le monde entier, à l’issue d’une Histoire qui eût été autre. Et si aujourd’hui on dénonce la perfidie Anglo-Saxonne dans les relations internationales, notamment le conflit israélo-palestinien, que l’on se souvienne que les traités ne furent pour les Anglais jamais plus que des accommodements pragmatiques avec les réalités.
Enfin, que l’on considère jusqu’à présent l’époque du Roi Henry I comme celle de l’autorité et de la sécurité au cours de laquelle ainsi qu’on l’a écrit une jeune fille couverte d’or pouvait circuler sans risquer d’être inquiétée, a de quoi étonner, du moment que son règne ne connût jamais que sept années véritables de paix.
Henry I fut bien celui qui à 53 ans épousa Adeliza de Louvain qui en avait 18, dans l’espoir vain d’avoir un nouvel héritier. Cette différence d’âge importante éclaire sur les pratiques maritales dans les cours royales européennes de l’époque. Ainsi Mathilde d’Anjou fut-elle mariée à l’âge de 8 ans avec William Atheling.
Les nombreux exemples de mariages d’enfants dans l’Europe chrétienne du Moyen-Âge dénotent ainsi une surprenante similitude avec les pratiques matrimoniales en islam. Les accusations de pédophilie dont cette religion a fait les frais depuis le 11 septembre 2001, en Occident, ne peuvent, eu égard à cela, qu’être relativisées.
Ainsi qu’il apparaît, au Moyen-Âge les guerres pour le pouvoir en Europe ne furent ni plus moins cruelles qu’en islam; et les mœurs furent généralement comparables. Cependant au plan politique, il convient de ramener toute comparaison à sa juste mesure: ni «les» Fitna entre Ali et Mou’awiya, leurs enfants, puis entre sunnites et chiites, ni plus tard les conflits de succession dans l’Empire Ottoman n’aboutirent jamais à des institutions politiques permanentes assurant une transition pacifique vers le pouvoir. Siffine fut à cet égard un échec tragique, en détruisant toute possibilité de cohabitation entre les vaincus de l’aristocratie marchande de la Mecque de retour au pouvoir, l’aile légitimiste, et l’aile révolutionnaire de l’islam.
Le phénomène est qu’à l’ère moderne, cette incapacité politique, dans une large mesure, persiste. Et l’exemple caricatural en demeure le cas tunisien actuel.
* Médecin de libre pratique.
‘The White Ship: Conquest, Anarchy and the Wrecking of Henry I’s Dream’’, de Charles Spencer, éd. William Collins,, 17 Sept. 2020, 338 pages.
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