Sous la question «Qui est réellement responsable de la pénurie de pain des pauvres ?», en référence aux commentaires du président de la république Kaïs Saïed lors de sa rencontre consacrée à cette question avec l’ancienne Première ministre et la ministre des Finances, l’organisation tunisienne Alert a publié un article mettant en lumière les véritables raisons derrière la crise du pain en Tunisie.
Par Hssan Briki
L’article explore les causes sous-jacentes de la crise, qui sont principalement structurelles. En premier lieu, il met en évidence le niveau insuffisant de production locale de céréales, qui ne parvient à satisfaire, dans le meilleur des cas, que 55% des besoins en blé dur et 0,3% des besoins en blé tendre.
De plus, les problèmes persistent au niveau de la distribution des quotas de farine et de semoule, une minorité de boulangers contrôlant la majorité des quantités allouées, laissant la plupart de leurs collègues avec une ration quotidienne d’environ 4,5 sacs. Cette situation pousse à l’utilisation d’autres types de farine ou à recourir au marché noir que le système de subvention dope.
L’article identifie également des facteurs conjoncturels, tels que la baisse des importations de 30% due au manque de liquidités et aux difficultés de financement de l’Etat, l’incapacité de l’Office des céréales, déficitaire et surendetté, à financer les opérations d’importations, ainsi que les conditions météorologiques défavorables de la saison 2023, caractérisée par la sécheresse et les pluies tardives.
La levée des subventions est bien engagée
Outre la responsabilité de l’État dans la résolution des problèmes structurels et conjoncturels, son abandon ou impuissance envers ses engagements sociaux constitue une des principales raisons de la crise touchant l’approvisionnement en céréales, en pain, et en produits de base en général.
L’article révèle la chute de 90% des dépenses de subvention, au cours du premier trimestre de 2023, par rapport à la même période de 2022, passant de 400 millions de dinars en 2022 à seulement 42,9 millions de dinars. Cette diminution explique entre autres de manière manifeste les interruptions fréquentes dans l’approvisionnement des différents produits de base. Contrairement à l’idée souvent répandue, ces interruptions ne peuvent en aucun cas être attribuées à la spéculation ou à la manipulation exercée par certains commerçants. Elles illustrent plutôt la stratégie discrète de l’État visant à réduire progressivement les subventions, comme cela a été le cas avec l’augmentation continuelle du prix des carburants, qui a été relevé cinq fois en 2022, ou avec le café, dont le prix a récemment augmenté de 30%, ainsi qu’avec d’autres produits de consommation courante.
Intransigeance et populisme au cœur du problème
La révision du système de subventions n’est pas en soi un problème. Elle est plutôt une nécessité unanimement reconnue par les experts en économie et les hommes politiques. Il existe un quasi-consensus national sur la dégradation de ce système et de ses effets négatifs, qui en ont fait l’une des principales sources du déficit budgétaire public, des monopoles, de la spéculation et de la pénurie des produits de consommation.
Cependant, la véritable problématique réside dans l’approche adoptée pour aborder cette question. La réduction progressive et forcée des subventions par le gouvernement, accompagnée d’une attitude intransigeante dans le discours du président ainsi que du refus de procéder à une révision efficace du système au sein d’un plan stratégique clair et étalé dans le temps, ne fait qu’aggraver la crise, en l’absence d’approvisionnement adéquat et de libéralisation des fournitures pour favoriser la concurrence, et sans augmentation corrélée des prix.
Cette attitude intransigeante et obstinée est dictée par des considérations électoralistes. Elle trouve sa source dans la crainte des remous sociaux et de leurs répercussions négatives sur la carrière politique des dirigeants.
La prise de décisions comme celle relative à la levée des subventions, pouvant avoir des conséquences sociales importantes, requiert du courage, car elles impliquent des réformes douloureuses qui ne procurent pas des bénéfices politiques immédiats pour celui qui les prend, mais qui s’avèrent bénéfiques à moyen et long terme pour le pays. C’est une démarche que les politiciens populistes évitent généralement, préférant souvent simplifier une situation complexe avec les raccourcies, comme celui du complotisme.
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