Le soulèvement au Niger a tout l’air d’être la première secousse d’un tremblement de terre qui touchera d’autres pays africains dont les peuples acceptent de moins en moins le paradoxe de la richesse naturelle de leur continent et le dénuement dont souffrent les peuples en raison de la corruption de leurs dirigeants et d’un état de dépendance et de sous-développement imposé par les anciennes puissances coloniales. (Illustration : le refus du transit des migrants subsahariens pourrait compromettre la Tunisie dans des situations préjudiciables).
Par Elyes Kasri *
Ce soulèvement, qui a tout l’air de constituer la deuxième phase de la lutte pour l’indépendance de l’Afrique, met la Tunisie face à un dilemme qui lui imposera un choix lourd de conséquences.
Notre pays pourrait ignorer cet élan d’émancipation des peuples africains et continuer à adopter une position de refus du transit des migrants subsahariens quitte à se compromettre dans des situations préjudiciables au regard des conventions internationales en matière des droits de l’homme en général et des réfugiés en particulier.
Dans cette situation, la Tunisie se ferait le suppléant de l’extrême-droite européenne en hypothéquant lourdement sa stature et ce qui lui resterait du capital de sympathie dans le monde, accentuant ainsi son isolement sur la scène internationale et surtout en Afrique que la plupart des observateurs considèrent comme l’avenir de l’humanité.
Le deuxième choix serait de se mettre du côté de l’élan d’émancipation des peuples africains en prenant des distances vis-à-vis de l’extrême-droite européenne notamment en demandant à l’Italie et à l’Europe de trouver elles mêmes des solutions avec l’Algérie et la Libye, principaux pays de transit des migrants subsahariens.
Un élan africain
La Tunisie ferait mieux d’adopter également une politique active de soutien au mouvement d’émancipation des peuples africains qui ne veulent plus vendre à vil prix leurs richesses naturelles et préfèrent s’engager dans un processus national de transformation et de valorisation pour créer de l’emploi et davantage de richesses et de prospérité en Afrique.
La Tunisie pourrait faciliter la matérialisation de cet élan légitime en procédant à ce qui suit :
1- le rétablissement du secrétariat d’Etat aux affaires africaines et maghrébines au ministère des Affaires étrangères. Ce secrétariat d’Etat serait chargé d’intensifier la coopération bilatérale et triangulaire avec les pays africains, en priorité les pays du Sahel. Il coordonnerait également l’action des différents intervenants tunisiens pour faciliter les conditions de séjour des ressortissants subsahariens en Tunisie;
2- l’octroi d’un plus grand nombre de bourses aux étudiants et stagiaires africains et des abattements fiscaux aux universités privées pour favoriser l’inscription de davantage d’étudiants et stagiaires des pays africains ciblés par notre politique d’aide au développement international dans le cadre de la solidarité africaine et de la coopération sud-sud;
3- la relance du projet de centre régional d’excellence qui serait composé d’une université des sciences appliquées et un centre de formation professionnelle ouvert aux étudiants tunisiens et africains qui a fait l’objet de discussions lors de la visite à Tunis de la chancelière allemande Angela Merkel en mars 2017 et tourne en rond depuis. Ce centre tuniso-allemand d’excellence à vocation continentale devait être situé dans la région de Mornag;
4- l’élargissement de la technopole tuniso-japonaise de Borj Cedria qui avait suscité à un certain moment un intérêt de la part de la partie japonaise pour en faire un centre continental de formation et de recherche multidisciplinaires ouvert aux étudiants et chercheurs africains. Ainsi, le pôle Mornag-Borj Cedria deviendrait le premier modèle d’aide non seulement au développement mais également à l’émancipation des pays africains ciblés en vue de former les compétences humaines capables de valoriser les innombrables richesses naturelles et minérales du continent africain;
5- la concrétisation du projet de corps de volontaires tunisiens en Afrique exploré en 2009 lors de la visite de la présidente de l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica) Feue Sadako Ogata. Ce projet mérite d’être relancé et concrétisé alors que des centaines de milliers de diplômés de l’enseignement supérieur sont au chômage et que des dizaines de milliers de docteurs et d’ingénieurs tunisiens ne voient d’autre perspective d’avenir que l’aventure a l’étranger avec tous ses risques et incertitudes.
Au rendez-vous de l’histoire
Ainsi, au lieu de la théorie hideuse du grand remplacement, la Tunisie se mettrait ainsi au rendez-vous de l’histoire en se rangeant d’une manière pacifique et constructive, comme elle l’a déjà fait au lendemain de la vague d’indépendance des années 60 du siècle dernier, aux côtés des peuples africains en quête d’émancipation et de développement équitable et durable.
Ifriqiya peut et doit faire mieux que maintenant et ne peut se permettre de rater ce rendez vous avec l’histoire.
* Ancien ambassadeur.
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