L’attaque sans nuance du président Kaïs Saïed contre l’Intelligence artificielle (IA), qui plus est, dans un discours prononcé devant l’élite de l’éducation nationale, est en contradiction totale avec les exigences d’ouverture aux innovations dans les domaines scientifiques et technologiques qu’un chef d’Etat est censé encourager. Et non dissuader…
Par Hssan Briki
«La montée de l’IA pourrait être la meilleure ou la pire chose qui soit jamais arrivée à l’humanité». Cette déclaration du célèbre astrophysicien britannique Stephen Hawking, décédé en mars 2018, résume la controverse entourant, l’intelligence artificielle (IA), où le président de la république Kaïs Saïed s’est invité en déclarant, lors de la cérémonie officielle organisée au Palais de Carthage à l’occasion de la Journée du Savoir, le 10 août 2023, que cette technologie constitue «un danger imminent qui ne menace pas la science, mais tout l’humanité».
L’IA s’impose comme l’une des technologies les plus fascinantes et controversées de notre époque. De sa conception initiale à ses développements récents, elle a suscité des débats passionnés sur son rôle dans notre société.
Le concept est né au milieu du XXe siècle avec l’idée que les ordinateurs et les machines peuvent reproduire l’intelligence humaine, apprendre par l’expérience et accomplir des tâches complexes.
Initialement limitée aux calculs mathématiques complexes, l’IA s’est étendue pour englober tous les domaines. Elle trouve des applications dans divers secteurs, de la médecine à l’automobile en passant par la finance, révolutionnant la manière dont nous abordons nos défis les plus complexes.
Des voitures autonomes parcourent nos rues, des assistants virtuels répondent à nos questions et des logiciels de montage et de traitement des données, comme le fameux ChatGPT, deviennent rapidement des compagnons omniprésents dans notre vie quotidienne.
Un développement hors contrôle !
Cependant, la vitesse à laquelle l’IA évolue suscite des préoccupations quant à notre capacité à la contrôler. Depuis les turbulences causées par des algorithmes boursiers en 2010 jusqu’au développement de systèmes neuronaux par Google et Open AI capables de traiter d’énormes quantités de données dépassant les performances du cerveau humain, même les pionniers de cette technologie expriment des inquiétudes.
Dans une lettre ouverte signée par plus de 1 000 personnalités, dont Elon Musk de SpaceX et Tesla, ainsi que les chercheurs Yoshua Bengio et Geoffrey Hinton, il est demandé une pause dans le développement de ces logiciels afin d’établir de meilleurs garde-fous, car ils présentent des risques sérieux pour la société et l’humanité.
Geoffrey Hinton, le parrain de l’IA moderne, a souligné après sa démission de Google dans une déclaration au New York Times : «Seule une poignée de gens croyait en l’idée que cette technologie puisse effectivement devenir plus intelligente que les humains […] et je pensais moi-même que ce serait […] le cas d’ici 30 à 50 ans, voire plus. Évidemment, je ne le pense plus.»
D’autres préoccupations majeures émergent en raison de l’impact économique de cette technologie, remettant en question l’avenir de millions d’emplois pouvant être remplacés par des robots plus efficaces, précis et rentables, comme l’a affirmé Elon Musk en juillet 2017 : «Que faire face au chômage de masse ? Ce sera un défi social massif. Il y aura de moins en moins d’emplois que les humains sauront mieux faire qu’un robot.»
Intéressante opportunité pour l’humanité
Face à ces inquiétudes, l’IA se profile aussi comme une source d’opportunités captivantes, suscitant l’enthousiasme de chercheurs éminents et de personnalités visionnaires. Comme l’a exprimé Éric Schmidt, ancien PDG de Google : «L’intelligence artificielle sera probablement plus importante que l’électricité.»
Cette prédiction optimiste est étayée par les succès concrets de l’IA dans des domaines cruciaux. Dans le domaine médical, par exemple, l’algorithme DeepMind de Google a acquis la capacité de diagnostiquer la rétinopathie diabétique avec une précision comparable à celle des ophtalmologistes, ouvrant ainsi la porte à un dépistage précoce et à des soins de santé optimisés.
L’IA révolutionne également la sphère technologique avec le développement de prothèses cérébrales permettant une connexion directe avec le cerveau, offrant des perspectives prometteuses pour les personnes en situation de handicap.
Dans le domaine de l’éducation, l’IA est mise en œuvre par la Khan Academy pour individualiser l’apprentissage, créant ainsi un enseignement sur mesure pour chaque apprenant.
L’économiste et futurologue Robin Hanson suggère que l’IA pourrait révolutionner l’éducation en instaurant un «tuteur mondial» accessible à tous, transcendant les frontières géographiques de l’apprentissage de qualité.
L’optimisme se manifeste également dans le domaine de la mobilité, où les voitures autonomes promettent une sécurité routière inédite en évitant les accidents et en réduisant les perturbations.
En réalité, l’IA nécessite une évaluation minutieuse et une éthique rigoureuse. Tout comme une lame tranchante peut être utilisée pour des diagnostics médicaux plus précis et des traitements améliorés, mais peut aussi engendrer des diagnostics erronés, l’IA pouvant être une force positive ou négative, selon l’usage qu’en en fait l’homme, lequel reste le maître à bord. Cette analogie trouve un écho avec l’énergie nucléaire, qui a apporté des avancées majeures à l’humanité tout en étant à l’origine de tragédies de Hiroshima et Nagasaki.
Une remise en question déplacée
Une évaluation responsable et l’application d’une éthique solide sont essentielles pour une utilisation bénéfique et durable de l’IA dans notre société en constante évolution. Elle représente une opportunité à saisir, comme le montrent les startups tunisiennes qui investissent dans une direction favorisant le bien-être humain.
C’est pourquoi, l’attaque sans nuance du président Saïed contre l’IA, en affirmant que son «utilisation malveillante à des fins terroristes ou criminelles pourrait causer des pertes humaines et matérielles massives ainsi que des traumatismes psychologiques considérables», qui plus est, dans un discours prononcé devant l’élite de l’éducation nationale, est-elle complètement déplacée, car en porte-à-faux avec les exigences d’ouverture aux innovations dans les domaines scientifiques et technologiques qu’un chef d’Etat est censé encourager, et non dissuader par des déclarations expéditives et sans appel. D’autant que plusieurs entreprises tunisiennes, qui réalisent d’excellentes performances à l’international, sont fermement engagées dans cette voie du progrès. Il faudrait plutôt les encourager à y persévérer, et non les désespérer comme le fait d’ailleurs parfois une bureaucratie tunisienne suspicieuse, tatillonne et stupide.
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