Tunisie : A quoi sert un chef de gouvernement ?

En Tunisie, on est passé, depuis la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, et sans transition, d’un chef de gouvernement omniprésent et omnipotent qui dispute ses prérogatives au président de la république, à un chef de gouvernement qui n’a qu’un seul souci, s’incliner devant le président de la république, s’effacer devant lui et éviter surtout de faire des vagues. Mais à quoi sert-il au juste ?

Par Imed Bahri

Ce passage, nous l’avons vécu lors de la passation des «pouvoirs» entre le flamboyant Hichem Mechichi et la terne Najla Bouden, en septembre 2021, et ce nouveau profil de Premier ministre a-politique, sans envergure, simple commis de l’Etat, exécutant docile des ordres du président de la république, nous l’avons découvert avec la professeure de géologie qui n’a pas laissé un souvenir impérissable de son passage au Palais du Gouvernement.

Mme Bouden, qu’on a tous déjà oubliée, était en effet totalement inaudible, parce qu’elle parlait peu, n’avait d’opinion sur rien et ne s’exprimait même pas publiquement. Ni déclarations officielles, ni conférences de presse ni entretiens avec les médias. Et les rares fois où l’on a entendu sa voix, c’était lors des conférences nationales et internationales, lorsqu’elle débitait, dans un arabe hésitant et approximatif, un discours écrit par ses collaborateurs.

Entendra-t-on un jour sa voix ?

Le successeur de Mme Bouden, Ahmed Hachani, juriste de formation qui a fait toute sa carrière au sein de la Banque centrale de Tunisie et dont le poste le plus important qu’il a occupé, avant sa sortie à la retraite, était celui de directeur des ressources humaines, présente un profil très semblable à celui de la «très gentille dame» à laquelle il a succédé. Il est tout aussi silencieux, tout aussi effacé et tout aussi docile. Depuis sa nomination, il y a 37 jours, il n’a fait aucune déclaration, même pas un discours d’investiture, et rien n’autorise à penser qu’on va entendre bientôt sa voix.

Qu’a-t-il fait au cours des cinq dernières semaines ?

Il a rencontré le président à plusieurs reprises pour écouter ses recommandations et prendre ses instructions, se contentant à chaque fois de se tenir à carreau et d’opiner de la tête : ni déclaration ni conférence de presse ni entretien avec les médias.

Il n’est pas non plus du genre à publier des postes Facebook ou Twitter (actuel X) pour transmettre quelque message ou s’exprimer sur l’actualité du pays et du monde, comme le font généralement les chefs de gouvernement à travers le monde.

Comme sa prédécesseure, M. Hachani est totalement inaudible, n’a d’opinion sur rien et ne s’exprime même pas publiquement. Il tarde, en tout cas, à le faire. Certains prétendent qu’il évite de parler publiquement parce que, comme sa prédécesseure, il ne maîtrise pas la langue arabe (son père avait été liquidé par Bourguiba, et sa mère était française). Or, pour qu’on puisse vérifier ses compétences linguistiques et autres – l’homme étant complètement inconnu avant sa nomination –, il faut qu’il veuille bien ouvrir la bouche pour dire quelques chose. Or, rien jusque-là n’indique qu’il va le faire un jour.  

Le silence de M. Hachani, qui a trop duré, commence à susciter des interrogations sur ses motivations et, plus grave encore, sur ses compétences. Et s’il est vrai que la Constitution promulguée par le président Saïed en juillet 2022 a drastiquement limité les prérogatives du chef de gouvernement, le ramenant au rang de Premier ministre, ou de simple haut fonctionnaire chargé d’appliquer les politiques dictées par le chef de l’Etat, cela ne suffit pas pour justifier le silence du Palais de la Kasbah.     

Chef ou de secrétaire général du gouvernement

Commentant ce «silence» qui a trop duré, l’ancien ambassadeur Elyes Kasri a publié mercredi 6 septembre 2023, un poste facebook où il se demande si M. Hachani était chef (ou secrétaire général) du gouvernement.

«Depuis sa nomination le 1er août dernier comme chef du gouvernement, Ahmed Hachani n’a pas encore fait, comme il est d’accoutumée dans les pays démocratiques, de déclaration générale de gouvernement et de rencontres avec la presse nationale et internationale», a-t-il fait remarquer. Pourtant, a-t-il ajouté, «la situation particulière de la Tunisie tant au regard des défis intérieurs et des pénuries à répétition et de crise économique avec les caractéristiques d’une stagflation chronique que l’apport attendu de la part de nos partenaires étrangers pour faciliter toute sortie de crise semblent nécessiter une communication plus ouverte sur les choix gouvernementaux en matière de sortie de crise et de programme de relance de l’économie ou tout au moins la loi de finances 2024 si l’on accepte de restreindre le rôle de la Kasbah à l’économie pour laisser le reste à Carthage».

«Le mutisme et l’absence de communication et certains soulignent l’absence d’initiatives et même de conseils des ministres dirigés par M. Hachani pour se poser la question de savoir s’il assume les fonctions de chef ou de secrétaire général du gouvernement», écrit encore, à juste titre, M. Kasri, se faisant l’écho d’interrogations partagées par un grand nombre de Tunisiens. D’autant, fait-il aussi remarquer, qu’«avec une rentrée qui s’annonce tendue sur plusieurs fronts et après 36 jours d’exercice, une précision claire de son rôle, ses objectifs et son calendrier semble s’imposer.»

Pour notre part, nous ne pousserons pas l’outrecuidance jusqu’à exiger ce genre de clarifications. A quoi bon demander des explications dont nous sommes sûrs qu’elles ne viendront jamais? Et puis, nous avons de quoi amplement nous occuper avec la chronique des déficits, des pénuries, des crises, des complots et des arrestations à la pelle.

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