Tunisie : Chaïma Issa, une voix libre qui défie l’injustice

Après près de deux mois de silence, l’opposante au président Kaïs Saïed et défenseure des droits humains, Chaïma Issa, interdite de voyage et exclue des espaces publics depuis sa libération le 18 juillet 2023, a finalement accordé une interview exclusive  à nos confrères de Monde Afrique, parler de sa situation actuelle et de son expérience en tant que première femme prisonnière politique sous le régime de Kaïs Saïed. 

Par Hssan Briki  

Chaïma Issa, docteure en sociologie, poétesse, écrivaine et journaliste, est membre indépendante de la principale coalition d’opposition, Front de salut national (FSN). Elle était la seule femme détenue dans l’affaire dite du «complot contre la sûreté de l’État» depuis le 25 février 2023, jusqu’à ce que le juge d’instruction accepte sa demande de remise en liberté avec l’autre opposant Lazhar Akremi, le 13 juillet dernier. Cependant, les deux activistes politiques sont toujours poursuivis en justice, sous surveillance, interdits de voyage et empêchés de se présenter dans les espaces publics. 

La vie après la prison : «Un entre-deux !» 

Une décision, bien qu’incompréhensible sur le plan juridique, découle de la même logique qui a prévalu pendant sa détention. Elle met en lumière le prix que les militants politiques paient souvent dans les régimes autoritaires. Le récit de Chaïma Issa révèle comment la raison d’État en Tunisie est devenue agressive et brutale, et comment les mesures prises en son nom sont teintées d’«absurdité» et d’«arbitraire»

Interrogée sur sa vie après la prison, l’activiste décrit sa situation actuelle comme un «entre-deux !». Elle dit avoir le sentiment de ne pas être pleinement libre, car ses camarades restent en détention. C’est un état de transition où l’ombre de la prison continue de peser sur sa vie. Cette expérience souligne la complexité de la réintégration après une longue période de détention. L’interview révèle également les épreuves endurées par Chaïma Issa et ses proches pendant sa détention. Les humiliations, les agressions, ainsi que les mensonges propagés à son sujet, ont laissé des cicatrices profondes. 

Une expérience humiliante 

En effet, la vie derrière les barreaux a été pour Chaïma une expérience à la fois bouleversante et révélatrice. Confrontée à l’incarcération, elle a dû faire face à des conditions de détention difficiles. Loin de la liberté qu’elle avait toujours connue, Chaïma a vécu une réalité brutale. Elle se souvient de deux moments en particulier qui l’ont profondément marquée. Le premier fut lorsqu’on lui a retiré ses lunettes, un acte symbolique qui lui a fait prendre conscience qu’elle avait perdu le contrôle sur sa propre vie. Le deuxième moment poignant survint lors d’une fouille corporelle, lors de laquelle elle fut contrainte de se déshabiller et de tousser. Mais pas seulement…  

Ces expériences humiliantes ont renforcé sa détermination à lutter pour les droits des prisonnières, tant sur le plan physique que psychologique.

En Tunisie, où de nombreuses familles ont un être cher derrière les barreaux, Chaïma Issa se dit déterminée à se battre contre les injustices du système carcéral. Elle est convaincue que la prison ne peut être une solution, car elle a constaté de ses propres yeux que les droits humains y sont bafoués, que les détenues y sont déshumanisées. Sa promesse envers ses ex-codétenues est de faire de cette cause une priorité, dans le but de rétablir leur dignité et leur intégrité. 

Toujours le même ton ferme  

Chaïma demeure également une combattante inflexible, conservant son ton ferme et continuant à dénoncer ce qu’elle qualifie toujours de «coup d’État», à savoir la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2023. Elle condamne vivement les actions polarisantes de l’État et du président Kaïs Saïed, accusant leur politique d’attiser la division et la haine, aussi bien envers les étrangers qu’entre les Tunisiens.  

Dans un contexte politique où l’opposition fait face à des défis considérables, Chaïma insiste sur la nécessité de rétablir le dialogue, même si la démocratie est diabolisée, et souligne que l’abandon de la lutte contre l’islamisme a contribué à la situation actuelle.

Pat ailleurs, elle rejette fermement les accusations de complot avec des puissances étrangères, mettant en lumière les contradictions flagrantes dans ces allégations, et réaffirme que sa détention avec nombre de ses collègues résulte de leur défense des libertés et de leurs efforts pour unir l’opposition face à un Kaïs Saïed qui a choisi la division plutôt que la réconciliation, conduisant ainsi les militants en prison. 

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