L’Histoire en général et le règne de Richard II en particulier nous enseignent que pour survivre, un autocrate a besoin d’une assise populaire, du soutien de la fraction aisée de la population dont il faut par conséquent préserver les biens, d’un contrôle sur les moyens répressifs de l’Etat , et de propagande. Ils nous enseignent aussi qu’il ne faut jamais s’accoutumer de la tyrannie, dont la fin se paie souvent au prix fort.
Par Dr Mounir Hanablia *
Comment un autocrate peut-il perdre son trône? L’histoire de Richard II d’Angleterre constitue un autre exemple (oublié) d’un roi déposé et (probablement) exécuté. Fut-il plus tyrannique que les autres?
Le règne de Richard II débute à l’âge de 10 ans, à la mort de son grand-père Edward III, quelques mois après celle de son père Edward de Woodstock, prince de Galles.
Quatre années après, en 1381, survient le grand soulèvement de la populace des villes, des paysans et des serfs, dont le chef est un certain Watt Tyler, contre l’instauration d’une taxe. Des membres du gouvernement royal sont pris et assassinés, les riches subissent des exactions. La Reine Joan of Kent mère du Roi au passé matrimonial sulfureux déclenche des quolibets indécents dans foule. Les insurgés veulent la suppression de la poll tax, et un changement social radical, l’abolition des privilèges de la noblesse. Le Roi (à 14 ans) est obligé de se rendre presque seul à leur camp pour parlementer.
Le chef de l’insurrection Watt Tyler fait preuve d’arrogance et d’impolitesse en sa présence, il est alors assassiné par l’un des présents, le Maire de Londres. Comment a t il pu prendre un tel risque? Aussitôt les insurgés se dispersent. Tout compte fait ils n’en voulaient pas au Roi.
La répression est sans doute sévère mais la clémence royale a souvent l’occasion de se manifester. Le soulèvement n’a pas de conséquences mais le Roi, n’en sort pas grandi, étant apparu terrorisé au milieu de la foule hostile. Comment ne l’eût-il pas été?
Deux années plus tard, le Roi épouse la princesse Anne de Bohême mais ils n’ont pas de descendance, et cela finit par mettre en avant la question de la succession, cruciale dans une dynastie.
Le Roi règle ses comptes
En 1389, un groupe de cinq nobles se prétendant mandatés par le Parlement et se prénommant les Appelants, demandent au Roi la révocation de quelques-uns de ses plus proches conseillers considérés comme inaptes à la direction des affaires du Royaume. Les troupes royales sont battues à Radcot Bridge et le Roi est obligé de se soumettre. Quelques uns de ses conseillers, dont Simon Burley, son ancien précepteur, sont exécutés, et Robert de Vere s’enfuit en France où il meurt à l’issue d’une partie de chasse.
Une dizaine d’années plus tard, le Roi fait arrêter les trois Appelants responsables de l’exécution de Simon Burley. L’un, Gloucester, son propre oncle paternel, est exécuté après avoir été expédié à Calais, tout comme l’autre, Arundel. Le troisième Warwick est emprisonné à vie. Les deux autres, Henry de Lancaster, son propre cousin, et Thomas Mowbray sont graciés, jusqu’à ce que le premier dénonce le second sur une prétendue intention du Roi de les faire occire tous les deux. Le Roi fait arrêter in extremis le duel prévu pour les départager, les fait alors exiler et décide de déposséder son cousin Lancaster de tous ses biens. Richard II voit en lui un candidat à sa succession possédant en outre des moyens matériels considérables qu’il pourrait utiliser contre lui à un moment où il a le plus besoin de ressources financières. En outre, il semble avoir pris la décision d’établir comme successeur son autre cousin, Edward duc d’York, il confie la régence du Royaume à son père Edward de Langley durant son absence en Irlande. Celle-ci s’avère une grave erreur, elle permet à Henry de Lancaster de revenir de France, sans opposition, pour réclamer ses biens, et plusieurs seigneurs se rallient à lui.
Le Roi perd la partie
Richard II se retrouve seul face à l’armée de ses ennemis et après 22 années de règne est obligé de se rendre et d’abdiquer au profit de son cousin, couronné sous le nom de Henry IV Lancaster, sur un argument juridique inexistant, celui du droit d’aînesse; les conseillers du nouveau roi avaient en effet insisté pour que cela n’eût pas l’air d’un coup de force, ouvrant la voie à toutes les aventures, et celui-ci a eu la prudence de confier le sort du roi déchu au Parlement.
Finalement, après un soulèvement manqué de ses partisans, Richard II meurt en prison, probablement de faim. L’autopsie pratiquée plusieurs siècles plus tard n’a pas retrouvé de traces de violence.
Les raisons de ce destin singulier sont multiples. D’abord le soulèvement populaire de Watt Tyler et la répression qui s’en est suivie, dont à 14 ans il ne peut être tenu pour responsable, lui ont aliéné la sympathie du peuple. Il avait pourtant bien défendu la cause des marchands anglais en Europe. La crise dynastique secondaire à l’absence d’héritier, que le second mariage du Roi devenu veuf avec une enfant de 7 ans, qui plus est fille du Roi ennemi de France (on est alors en pleine guerre de 100 ans) n’a pas résolue, a incontestablement aiguisé les ambitions de ses cousins qui par le biais du Parlement, autrement dit les Lords, n’ont eu de cesse, sous prétexte de contrôle des dépenses royales, d’écarter ses conseillers, en les faisant exécuter, et de bafouer son autorité. Il a réagi fermement mais trop tardivement.
Par ailleurs dès lors que le Roi avait dépossédé l’un des seigneurs les plus puissants de son royaume, la moindre des précautions eût été de disposer d’une armée fidèle. Or ce ne fut pas un guerrier, il ne prit jamais part aux joutes et aux tournois, et contrairement à son grand-père, ses oncles, et même ses cousins, il ne participa jamais à des batailles. Il prenait simplement la peine de s’entourer d’archers lorsqu’il sentait que la situation l’exigeait.
La conséquence en a été que dépourvu d’expérience militaire et dans l’obligation de mener une bataille et de lever une armée, il s’est retrouvé seul, abandonné par son cousin York auquel il destinait pourtant sa succession, ainsi que par le père de ce dernier, Edmond de Langley. Pourquoi l’ont-ils ainsi trahi, ainsi que tous ceux auxquels il avait prodigué honneurs et richesses? La réponse peut se situer dans son caractère capricieux, mais surtout dans sa décision de déposséder un seigneur illustre, à un point tel que toute la noblesse s’est sentie menacée de perdre ce qui comptait le plus pour elle, ses richesses.
Néanmoins l’avènement de son cousin Henry IV ne mit pas un terme à la lutte pour le pouvoir et celle-ci se poursuivit entre la maison d’York et de Lancaster, on l’a appelée la guerre des deux roses, et elle et ne se conclut que 85 années plus tard, preuve s’il en est que les raisons qui ont conduit à la déposition de Richard II lui ont survécu.
Quoiqu’il en soit, et malgré le personnage dépeint deux siècles plus tard contre toute vérité historique par Shakespeare, sanguinaire, menteur, machiavélique, l’Histoire nous enseigne que pour survivre, un autocrate a besoin d’une assise populaire, du soutien de la fraction aisée de la population dont il faut par conséquent préserver les biens, d’un contrôle sur les moyens répressifs de l’Etat , et de propagande. Elle nous enseigne aussi que les causes de son départ ou de sa chute, lui survivent toujours. C’est pourquoi il ne faut jamais s’accoutumer de la tyrannie, dont la fin se paie souvent au prix fort.
‘‘Richard II: A True King’s Fall’’, Kathryn Warner, Amberley Publishing, 368 pages, 1er décembre 2019.
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