Fritures sur la ligne entre la Tunisie et l’Union européenne

Alors que l’Italie poursuivait ses efforts pour accélérer la mise en œuvre du mémorandum d’accord entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie, prévoyant une aide financière globale de 1,2 milliards d’euros, la mauvaise nouvelle est finalement venue de Tunis, qui semble vouloir suspendre momentanément la négociation pour la finalisation de cet accord.

Par Imed Bahri   

Vendredi dernier, la Commission européenne (CE) a annoncé un programme de soutien budgétaire de 60 millions d’euros pour la Tunisie et un programme de soutien opérationnel de 67 millions d’euros pour la migration, qui seront tous deux décaissés dans les prochains jours et rapidement contractés et livrés.

La semaine dernière, le commissaire chargé du voisinage et de l’élargissement, Oliver Varhelyi, et le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, se sont entretenus par téléphone pour confirmer leur volonté commune de renforcer le partenariat tuniso-européen et d’accélérer les efforts de mise en œuvre du protocole d’accord signé entre la Tunis et Bruxelles en juillet dernier.

Rome à la manœuvre

Hier, lundi 25 septembre, l’agence officielle italienne Ansamed annonçait que l’Italie et la France, avec le soutien de la grande majorité des pays membres de l’UE, a demandé que la CE tienne des réunions régulières pour vérifier l’état de mise en œuvre du mémorandum d’accord entre la Tunisie et l’UE sur la migration.

Le dossier a d’ailleurs été au centre d’un déjeuner de travail entre Jan Gert Koopmann, directeur général de l’unité chargée de la politique de voisinage et des négociations d’élargissement auprès de la CE, et les représentants permanents, rapporte l’agence italienne, citant des sources diplomatiques, et d’ajouter qu’au cours de cette réunion, Rome et d’autres capitales ont souligné la nécessité d’une «application urgente» dudit mémorandum qui vise à «construire une capacité durable des autorités tunisiennes à contrôler leurs frontières.»

Dans les prochaines semaines, Tunis indiquera les atouts qu’elle juge nécessaires pour améliorer la gestion des migrants : depuis l’outillage mécanique jusqu’à la livraison des bateaux, au ravitaillement en essence et à la formation des unités maritimes locales, souligne Ansamed dans son article.

«Le premier paquet de mesures d’application de l’accord est attendu dans les prochaines semaines», souligne l’agence, en ajoutant qu’au cours de la réunion d’hier, «il est ressorti que tout le monde s’accorde sur la nécessité de partenariats sur le modèle du mémorandum avec la Tunisie, qui ne se concentrent pas uniquement sur la migration mais soient globaux.» La lutte contre la migration en Tunisie, a-t-on aussi souligné, doit se dérouler dans le respect des droits de l’homme, en rappelant que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) opère déjà en Tunisie pour aider aux rapatriements et que l’Italie fait pression pour une plus grande implication du Haut comité des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

La saute d’humeur de Tunis

Jusqu’à hier soir, tout semblait donc aller enfin dans le bon sens, lorsque survint le coup d’arrêt (momentané) au processus de mise en œuvre de l’accord donné par le président tunisien. Lors de la réunion du Conseil national de sécurité tenue au Palais de Carthage, Kaïs Saïed a décidé de charger le ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens de l’étranger d’informer la partie européenne du «report de la visite qu’une délégation de la CE avait prévue en Tunisie à une date ultérieure à convenir entre les deux parties», comme a annoncé la présidence de la république dans un bref communiqué publié lundi soir.

L’annonce, simultanément, d’une visite du chef de la diplomatie tunisienne Nabil Ammar, à Moscou, les 26 et 27 septembre, à l’invitation de son homologue russe Sergei Lavrov, ne saurait être séparée de cette saute d’humeur de la Tunisie, qui fait face à de graves difficultés financières et qui voit dans les atermoiements européens un manque de volonté de lui venir en aide au moment où elle en a le plus besoin.

Moscou sur la ligne

Cependant, le voyage d’Ammar à Moscou ne signifie nullement une volonté tunisienne de réorienter sa politique étrangère dans le contexte de la polarisation actuelle entre l’Est et l’Ouest. Elle s’inscrit plutôt dans une tentative tunisienne d’assurer ses approvisionnements d’énergie, de céréales et d’engrais auprès de la Russie. Il est d’ailleurs accompagné dans ce voyage par la PDG de l’Office des céréales, Saloua Ben Hdaied.

C’est aussi, au passage, un signal fort envoyé à ses partenaires historiques, l’Europe et les Etats-Unis, que la Tunisie voudrait réduire sa dépendance vis-à-vis des Occidentaux et diversifier ses partenariats internationaux dans le cadre de relations plus équilibrées et plus respectueuses de sa souveraineté.

Dans ce même contexte, les récentes déclarations de responsables européens, dont le président français Emmanuel Macron, à propos de l’envoi d’experts sécuritaires européens en Tunisie pour l’aider dans la lutte contre la migration irrégulière, ont fait grincer des dents à Tunis obligeant le président Saïed à souligner solennellement, lors de la réunion du Conseil national de sécurité, hier soir, l’attachement de son pays à sa souveraineté nationale.

Evoquant la question du financement du budget, alors que la négociation d’un prêt de 1,9 milliard de dollars du FMI est suspendue depuis près d’un an, le président tunisien a déclaré : «Nous compterons sur nous-mêmes sans renoncer à une seule once de souveraineté tunisienne». Un discours de fermeté, qualifié de populiste par les opposants, mais qui semble plaire à une majorité de Tunisiens qui, malgré l’aggravation de la crise, continuent de faire confiance au locataire du palais de Carthage.

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