Retour sur l’évasion de cinq dangereux terroristes

Cinq dangereux prisonniers condamnés à de lourdes peines dans des affaires terroristes se sont évadés de la prison la mieux gardée de la Tunisie, et plus de 24 heures après leur fuite, aucun haut responsable de l’Etat n’a cru devoir sortir pour s’exprimer sur le sujet. Que penser de ce silence gêné sinon qu’il alimente les rumeurs les plus folles, suscite de graves interrogations et ajoute à l’inquiétude générale ?

Par Imed Bahri

On ne s’attardera pas sur la dangerosité des évadés qui ont trempé dans des assassinats politiques et des attentats terroristes ayant secoué le pays entre 2012 et 2016. Ils étaient incarcérés dans des cellules d’isolement dans des quartiers spéciaux particulièrement gardés et soumis à des protocoles rigoureux de surveillance 24 heures sur 24 heures. Certains d’entre eux ont déjà tenté de se procurer des produits pouvant être utilisés dans une évasion (notamment des somnifères) et ont été démasqués. Cela a eu lieu en 2015 et les autorités pénitentiaires avaient même, à l’époque, communiqué sur le sujet. On ne peut donc pas dire qu’elles n’étaient pas averties ou préparées à une pareille éventualité.

Des complicités au cœur de l’appareil

Aussi la question à laquelle les citoyens ne trouvent pas de réponse et qui leur cause des cauchemars est la suivante : comment les criminels censés être les plus strictement surveillés dans le pays ont-ils pu déjouer tous les protocoles de surveillance, quitter leurs cellules d’isolement, se rassembler quelque part au cœur d’une prison truffée de caméras, sauter par-dessus des murs surmontés de barbelés et hauts de dix mètres et disparaître dans la nature ?

Ce qui ajoute à l’inquiétude générale et fait même douter de la capacité des autorités à bien contrôler la situation, c’est que des images de ladite évasion – ou présentées comme telles – ont fuité dans les réseaux sociaux quelques heures seulement après la découverte du pot aux roses : on y voit des agents prendre des photos de la fenêtre avec des barreaux sciés d’où les évadés auraient quitté la prison, ainsi que la corde qui les aurait aidés à retomber sur leurs pieds.

Par ailleurs, le fait que les fuyards n’aient croisé aucun agent pénitencier ni aucun policier dans les environs de la prison, laquelle est située dans une région isolée, suscite également des interrogations et alimente des soupçons de complicités actives au cœur même des corps pénitentiaire et sécuritaire, complicités que confortent les trois limogeages de hauts responsables annoncés hier soir dans les deux corps.

Les silences du palais

Face à tant de mystères, on aurait souhaité entendre le président de la république s’exprimer au sujet de l’affaire, mais il a choisi le pire moment pour disparaître de la circulation : il n’est pas apparu publiquement depuis cinq jours.

La ministre de la Justice, qui a multiplié ces derniers mois les visites d’inspection dans les prisons, a disparu elle-aussi de la circulation au moment où sa parole aurait sans doute été utile pour calmer les appréhensions.

On peut dire aussi la même chose du ministre de l’Intérieur dont la disparition des radars trahit la grosse gêne où se trouve aujourd’hui l’Etat qui découvre à cette occasion ses manquements et ses carences.

En attendant une hypothétique conférence de presse qui, à défaut d’éclairer l’opinion sur les circonstances exactes de cette évasion, aiderait au moins à dissiper les inquiétudes et calmer les esprits, nous en sommes encore réduits, journalistes, citoyens et observateurs étrangers à imaginer des scénarios et à échafauder des hypothèses. Alors que cinq dangereux terroristes, et leurs supposés complices, sont libres comme le vent et font peser des menaces sur le pays, au moment où il traverse une grave crise et est à la merci d’une étincelle. Et que les fervents adeptes de la théorie du complot, dont beaucoup se proclament du président Kaïs Saïed, sont en train de défendre la thèse selon laquelle cette évasion est fomentée par des services étrangers cherchant à déstabiliser le régime en place à Tunis afin de le punir pour ses positions hostiles à Israël…

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