France – Marche contre l’antisémitisme : un appel pernicieux qui divise

Ceux qui ont appelé à une marche contre l’antisémitisme, ce dimanche 12 novembre 2023, à Paris, ajoutent à la confusion et aux amalgames dans lesquels se fourvoie la politique en France et contribuent par là à diviser encore plus les citoyen(ne)s, voire à les opposer, et à attiser les haines, au lieu d’œuvrer à empêcher l’importation du conflit israélo-palestinien en France et à en éteindre les feux.

Par Mohamed Cherif Ferjani *

J’ai écrit ce papier pour partager le désarroi de beaucoup d’ami(e)s militant de longues dates contre l’antisémitisme, et toutes les formes de xénophobie, face à l’appel, dans les circonstances actuelles, à une marche contre l’antisémitisme.

J’ai échangé beaucoup avec elles/eux : certain(e)s vont y participer à contre cœur; d’autres ont décidé, également à contre cœur, de ne pas y participer. Les raisons sont les mêmes : elles/ils condamnent l’antisémitisme qui était et reste un crime abjecte à condamner hier, aujourd’hui et demain; mais elles/ils refusent son instrumentalisation politique, par l’extrême droite et par les forces politiques qui s’en servent pour soutenir l’Etat d’Israël, quoi qu’il fasse, et détourner les yeux de ses crimes passés et actuels. Je comprends et partage leur désarroi qui confirme le caractère pernicieux de cet appel de division.

Entre des feux croisés

En 2002, dans la manifestation du 1er mai entre les deux tours de la présidentielle qui fut un tournant catastrophique dans l’histoire contemporaine de la France, nous étions quelques citoyen(ne)s d’origines arabes et juives à découvrir, avec horreur, que Le Pen, chef de l’extrême droite, s’est trouvé qualifié au second tour avec, entre autres, les voix d’Arabes, qui ont voté pour lui par haine des Juifs, et de Juifs qui ont fait la même chose par haine des Arabes.

Nous nous sommes réuni(e)s à la fin de la manifestation pour créer l’Association d’amitié arabo-juive, Raja-Tikva, dans l’espoir de pouvoir contrer, dans une perspective citoyenne laïque, ces dérives de haines qui contribuent à amplifier la xénophobie en général, l’antisémitisme et l’islamophobie en particulier.

Depuis, malgré quelques actions réussies, nous nous sommes trouvé(e)s pris entre les feux croisés de ceux qui jouent sur les amalgames et les confusions : si on dénonce la politique de colonisation rampante d’Israël et les violations quotidiennes des droits du peuple palestinien on est accusé d’antisémitisme, sur fond d’amalgame entre judaïté, sionisme et politique israélienne, et d’assimilation de l’antisionisme et de l’antisémitisme, comme si tous le juifs étaient sionistes et tous les sionistes étaient favorables à la politique d’extrême droite menée par Netanyahou et sa coalition gouvernementale; si on dénonce les attentats terroristes et l’islam politique, on est accusé d’islamophobie, comme si tout les musulmans étaient des islamistes, et tous les islamistes étaient des terroristes.

Faire reculer les haines

Le plus grave, c’est que ces amalgames sont de plus en plus partagés par les politiques et par les gouvernants dont le rôle est de garantir le lien social et de faire reculer les haines et les replis identitaires qui en menacent la pérennité; même le milieu scientifique n’est plus à l’abri des effets pervers de ces amalgames inspirant de plus en plus les politiques publiques.

En ce moment où l’on a besoin de voix comme celles de l’association Raja-Tikva pour faire reculer les haines et apaiser les relations entre des populations sous le choc des drames qui s’aggravent du fait du nouveau tournant pris par le conflit asymétrique israélo-palestinien, tout est mis en œuvre pour les étouffer.

Ainsi, toutes les activités programmées par notre association sont suspendues du fait de l’impératif sécuritaire à géométrie variable tendant à interdire toutes les activités qui ne s’alignent pas sur la position du gouvernement; celui-ci s’est empressé d’apporter son soutien à la politique de Netanyahou et ne dénonce que du bout des lèvres le sort réservé à la population de Gaza livrée, sans la moindre protection, aux bombardements de l’armée israélienne.

La France s’est ainsi illustrée par une politique particulièrement alignée sur les positions israéliennes au mépris des résolutions des Nations Unies, du droit international concernant les crimes de guerre et le sort des populations sous l’autorité d’une puissance occupante, et des droits humains ignorés ou invoqués de façon sélective et hypocrite, selon les protagonistes qui les violent : on dénonce les crimes de guerre du Hamas et on ne dit rien sur les crimes de guerre autrement plus massifs de l’armée israélienne.

La France se fourvoie

Devant la multiplication des condamnations visant la politique israélienne, des manifestations de solidarité avec la population de Gaza et le peuple palestinien, partout dans le monde, les autorités françaises ont été obligées de faire semblant de rectifier le tir en laissant s’exprimer celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec la position officielle de la France en cherchant à les piéger par un appel, dans ces circonstances, à une marche nationale contre l’antisémitisme, auquel le Rassemblement National a été le premier à répondre en désignant les musulmans comme le principal facteur de l’antisémitisme.

Outre cette instrumentalisation politique de la dénonciation de l’antisémitisme, dont l’extrême droite est loin d’être la seule à tirer les ficelles, le caractère pernicieux de cet appel vient du fait qu’il place les citoyen(ne)s devant un choix impossible : soit on refuse d’y répondre et on se trouve accusé d’antisémitisme; soit on l’accepte et on cautionne, qu’on le veuille ou non, les crimes de Netanyahou et de sa coalition contre la population de Gaza, d’autant plus que dans toutes les manifestation contre l’antisémitisme, le CRIF et les organisations sionistes ont toujours défilé en tête avec le drapeau israélien.

Ce faisant, ceux qui ont pris cette initiative ajoutent à la confusion et aux amalgames dans lesquels se fourvoie la politique en France et contribuent par là à diviser encore plus les citoyen(ne)s, voire à les opposer, et à attiser les haines, au lieu d’œuvrer à empêcher l’importation du conflit en France et à en éteindre les feux en rappelant à tou(te)s et à chacun(e) que LA VIE, LA DIGNITE ET LES DROITS D’UN ÊTRE HUMAIN, QUEL QU’IL SOIT, VALENT LA VIE, LA DIGNITE ET LES DROITS DE TOUT AUTRE ÊTRE HUMAIN, QUEL QU’IL SOIT.

Lyon, le 10/11/ 2023

* Professeur honoraire de l’Université Lyon2, président du Haut conseil scientifique de Timbuktu Institute, African Center for Peace Studies.

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