‘Le temps du délire’’ ou la souffrance des femmes à travers le temps

Le roman de Rafika Bhouri ‘‘Le temps du délire’’, paru aux éditions Mohamed Ali Hami, a reçu le prix Comar de la découverte 2023. Il est le résultat d’un travail assidu qui opère sur le fond comme sur la forme.

Par Zeineb Cherni *

Le titre nous interpelle : pourquoi le délire et quel sens lui attribuer ? Est-ce un voyage dans l’irrationnel ? Une descente dans le monde du subconscient ou même de l’inconscient ? En avançant dans la lecture on s’aperçoit que le monde romanesque ne bascule pas dans l’irréel bien qu’il présente des faits et des personnages insolites.

Dans ce roman, l’écrivaine ne vise pas une évasion du rationnel mais un verbe qui choque, et qui marque une sortie de l’habituel, du contraignant et des tabous. Elle vise à décortiquer ce qui entoure, constitue le réel des femmes, des couples et de l’enfance. Ce qui rend les relations humaines si difficile et même destructive.

‘‘Le temps du délire’’ est un roman qui renvoie à la symbolique de l’imaginaire collectif, un processus de mémorisation, un travail reconstitué dans une trame signifiante qui sort du normatif.

Le trouble, l’errance et l’injustice

Le personnage principal est celui de Hajer. Elle affronte un époux pervers, narcissique, qui va la démolir. Il est nommé Wajih Ben Dhiab ou «le dignitaire fils des loups», et ce à cause de la duplicité de sa personnalité : rayonnante, séductrice en apparence et dévorante dans les faits.

Autour de ce noyau central gravitent 5 couples construits sur des liens d’amour et déconstruits pour certains par la violence ravageuse des certains hommes, victimes de troubles psychologiques, des lois, coutumes, mentalité qui consume l’élan vital de l’être humain et surtout féminin le nom Hajer est un emprunt au référentiel de la symbolique religieuse monothéiste de Hagard, mère d’Ismaël et concubine d’Abraham, elle était l’esclave de Sarra (Sarah). Elle symbolise l’errance et l’injustice subie par les femmes, puisqu’elle a été contrainte de quitter son foyer sous l’instigation de Sarah devenue féconde après avoir donné naissance à Isaac. Hagard a erré dans le désert portant son enfant dans ses bras.

La restitution de cette narration quasi-mythique dans le roman restitue, au sein de notre imaginaire, une histoire ancienne et qui interpelle le lecteur, touchera son affect et ses convictions et lui procurera l’occurrence de comprendre que les souffrances des femmes perdurent à travers le temps.

Le parcours solitaire de la femme

Hajer traverse le désert, ce dernier symbolise le parcours solitaire de la femme qui tout en errant seule forge son étant, dans le repliement, mais rencontre, toutefois, une aide féminine mais aussi masculine.

Dans le roman, il y a une réhabilitation du rôle positif que jouent certains hommes, cela met en exergue les traits d’un personnage qui rencontre Wajih et qui jure avec les caractéristiques habituelles de la masculinité, il porte en lui le dévouement, la patience et l’affection nécessaires qui lui permirent d’élever un enfant.

Un autre personnage masculin surgit dans ce roman, il est salvateur, pour Hajer . C’est un homme du sud, un touareg qui rassemble en lui les normes d’une civilisation millénaire, celle du désert du sud, il provient d’une ancienne localité libyenne connue pour ses gravures sur les murs qui datent de 8000 ans révolus. Ce personnage masculin est capable d’amour, de créativité; il est l’opposé du pervers narcissique.

Ce roman est un outil de transformation sociale, beaucoup de femmes s’y retrouveront. Il permet une meilleure intellection du réel à travers une narration imagée.

* Professeure de philosophie et militante féministe.  

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