Mouha Harmel, lauréat du Comar d’or 2023 : « Les contes traditionnels tunisiens sont une source d’inspiration intarissable »

Mouha Harmel, jeune écrivain tunisien d’expression française qui puise son inspiration dans les contes traditionnels tunisiens pour construire ses récits fantastiques, vient de recevoir le Comar d’or 2023 pour son troisième roman « Siqal, l’antre de l’ogresse ».

Entretien conduit par Fawz Benali

Après avoir reçu le prix découverte pour « Le sculpteur de masques » en 2013 puis la mention spéciale du jury pour «Les rêves perdus de Leila » en 2016 au concours de littérature tunisienne Comar d’or, Mouha Harmel vient de remporter le Comar d’or du meilleur roman en langue française pour son tout dernier roman « Siqal, l’antre de l’ogresse », paru aux éditions Déméter.

Mouha Harmel se passionne pour l’univers fantastique et met en avant la richesse de nos contes traditionnels tunisiens. Il nous parle dans ses romans de Djinns, d’ogres, de sorcellerie et de mondes parallèles, car ces légendes sont chargées d’un imaginaire puissant selon lui. Le jeune écrivain qui, après des études d’architecture, prépare aujourd’hui une thèse de philosophie sur Gilles Deleuze, nous parle dans cet entretien de fantasy, de blues, de son dernier coup de cœur de lecture, des écrivains qui l’ont marqué, de tout ce qui l’inspire au quotidien et de ses futurs projets littéraires.

Kapitalis : Vous vous inspirez beaucoup des contes traditionnels tunisiens, est-ce que vous avez d’autres sources d’inspirations ?

Mouha Harmel : Les contes traditionnels tunisiens sont une source d’inspiration intarissable. Explorer leur univers est une quête passionnante qui nous conduit jusqu’à la mythologie arabo-persane et à la généalogie djinnique des ogres, à la confluence entre les récits maghrébins et les contes de Grimm et de Perrault. Nos contes sont chargés d’un imaginaire puissant, ils véhiculent de nombreux affects (la peur, la cruauté, l’inquiétant, l’étrange, la tendresse, la subversion).

Je m’inspire de beaucoup de choses à la fois. De mes lectures, des films et des séries que je visionne, de la philosophie, des jeux vidéo, des jeux de plateau, de la musique que j’écoute, de l’Histoire, de témoignages, de la mythologie, de mes souvenirs, des voyages, des rêves, des rencontres, des expériences. Dans l’écriture, l’égo disparaît, nous sommes happés par l’altérité, par le bruit du monde.

Vos romans s’inscrivent dans le genre fantastique, est-ce que vous comptez toujours écrire dans cet univers ?

Il me semble que oui, cet univers s’est imposé à moi naturellement. C’est comme quand je joue du blues à la guitare électrique. C’est la musique dont je me sens le plus proche. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi je me sens dans mon élément quand j’écris dans cet univers, même si j’apprécie aussi beaucoup les fictions réalistes. J’aime utiliser les potentialités créatrices et métaphoriques du fantastique qui nous permet de nous évader du réel tragique et de le dire avec justesse en même temps. Je trouve par exemple que les contes tunisiens sont une très belle métaphore pour dire la résistance et l’humour de ces conteuses face à un ordre patriarcal, à des institutions conservatrices. Mais je n’exclus pas la possibilité d’écrire un jour une fiction réaliste.

Vos deux premiers romans ont été primés au concours littéraire Comar d’or, il y a eu d’abord le prix découverte, puis le prix du jury. Est-ce que vous vous attendiez à ce que le troisième soit couronné par le Comar d’or ?

Je ne m’y attendais pas. Cela m’a surpris (agréablement). D’autant plus qu’il y a beaucoup de romans qui sont excellents comme La Nuit du Doute de Béchir Garbouj, édité également chez Déméter et qui est finaliste du prix Orange Afrique 2023. D’ailleurs, je trouve cela positif que, pour cette session du prix Comar, il y ait eu un nombre important de participants pour le roman en langue française.

Vous avez consacré un essai à l’écrivain japonais Haruki Murakami, est-ce qu’il y aurait d’autres écrivains qui vous inspirent ?

De Murakami, j’ai appris que le rêve est un puissant moyen d’expression, que plonger dans notre inconscient nous connecte avec le monde, que le monde ne cesse de s’ouvrir sur ses doubles, et que la simplicité est la voie vers l’intensité dans l’écriture. Pour les autres influences, la liste est longue. Je reste d’abord fidèle à Gibran dont la lecture des paraboles m’a ébranlé durant mon adolescence. Je pense au recueil les tempêtes, dont j’ai traduit quelques extraits vers le français pour mon plaisir. J’ai découvert le fantastique grâce à Stephen King et à Maupassant, la fantasy grâce à Tolkien et à Robin Hobb, et la science-fiction grâce à Ray Bradbury. Je suis tombé sous le charme du romantisme macabre de Baudelaire et de Poe. Ensuite, il y a eu la pensée de Nietzsche dont la rencontre m’a donné envie de me révolter contre le système et d’entreprendre des études en philosophie. Lovecraft, John Connolly, Kafka, Orhan Pamuk, Toni Morrison sont des écrivains dont l’œuvre me transporte et m’apporte des enseignements sur l’humanité, sur le monde, sur le cosmos. Pour les auteurs tunisiens, j’aime beaucoup le roman Hammem Dhhab de Mohamed Aissa Meddeb, la manière dont il intègre la légende au récit, j’aime la beauté du texte dans les romans d’Emna Bel Hadj Yahya, la richesse des personnages des romans de Azza Filali. J’ai aussi beaucoup apprécié la lecture du roman de Moncef Ben Mrad, Les lumières de Nejma.

Quel livre vous a dernièrement marqué ?

Beloved de Toni Morrison. Ce roman puissant vous fait vraiment saisir ce que signifie l’horreur de l’esclavage, jusqu’où la cruauté des hommes peut aller, et la force de résilience des afro-américains. Toni Morrison a porté leur souffrance dans ce roman de manière entière, avec colère, mais aussi avec beaucoup d’amour et d’apaisement.

Quels sont vos prochains projets littéraires ?

Je pense déjà à l’écriture d’un nouveau roman dont l’intrigue se situera en Tunisie.

Une rencontre avec les lauréats du Prix Comar d’or est prévue pour ce soir, mardi 16 mai, à l’hôtel Majestic Tunis.

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