Tunisie : fatigue électorale ou défiance politique?

Comment expliquer le camouflet du 11,84% de taux de participation durant les élections locales en Tunisie ? Fatigue électorale, déprime politique, désaffection ou ras-le-bol du Tunisien ?

Par Moktar Lamari *

Seuls 11,84% des électeurs (selon les derniers chiffres rendus publics par l’Instance supérieure indépendante pour les élections) ont pris la peine de se rendre aux bureaux de vote pour élire quelque 7000 personnes, pour siéger dans des structures locales.

Une campagne électorale vide de contenu, et aucun enjeu économique n’est évoqué dans le sillage de cette énième élection quasiment inutile et sans raison d’être.

C’est kif-kif, du pareil au même

Une méta-analyse de 52 études sur le taux de participation aux élections locales produite par Benny Geys de l’Université libre de Bruxelles a révélé que 36 d’entre elles ont établi une relation entre la présence de compétition sur la base de programmes électoraux et le taux de participation des électeurs.

Sans programme électoral et sans compétition sur la base d’enjeux d’intérêts, l’électeur reste à la maison et vote par les pieds.

En Tunisie, les élections sont devenues un sport national. Une overdose, alors même que toutes les élections organisées au cours des dix dernières années ne produisent quasiment rien pour le bien-être et le pouvoir d’achat de l’électeur.

Les votes fréquents sont connus pour faire pression sur le taux de participation. Une analyse par Colin Rallings et d’autres à l’Université de Plymouth sur près de 4 000 élections partielles du gouvernement local entre 1983 et 1999 a révélé que moins le temps s’était écoulé depuis l’élection précédente, plus le taux de participation était faible. Une étude plus récente en Allemagne a tiré la même conclusion : l’un des déterminants les plus importants de la probabilité qu’une personne aille voter est de savoir si elle a voté à l’élection précédente. Or, la précédente consultation électorale organisée il y a juste un an, les législatives en l’occurrence, n’ont pas atteint 12% de taux de participation.

Les gens sont également plus susceptibles de rester à la maison lorsque la course semble non compétitive.

La fatigue électorale s’installe durablement

Les Tunisiens ne font plus confiance aux élections mascarades, sans enjeux, sans programmes économiques et sans vision.

Les dirigeants politiques ont déçu et n’ont rien livré sur le front du pouvoir d’achat, de l’emploi, de la croissance… Ils ont davantage créé de la pauvreté et de la récession, faisant pousser les jeunes à fuir le pays, et les investisseurs à expatrier leurs capitaux.

Cela n’augure rien de bon pour les élections présidentielles à venir, probablement dans un an, si les dates des rendez-vous électoraux sont respectées.

Les méfaits de cette fatigue électorale et désaffection affichée envers les instituions et les élites du sérail laisseront des traces et se feront sentir pendant des années. Ils risquent même d’accélérer l’émergence d’un régime comme celui de l’Égypte de Sissi.

* Economiste universitaire-Canada.

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