Le Déluge d’Al-Aqsa remodèle le Moyen-Orient

L’opération Déluge d’Al-Aqsa lancée le 7 octobre 2023 par les Palestiniens dans la bande de Gaza occupée par Israël a des implications stratégiques plus larges pour Israël et les États-Unis, dont l’orgueil, l’excès de confiance et les plans soigneusement élaborés pour maintenir un statu quo inique sont maintenant enterrés sous les décombres à Gaza.

Par Mushahid Hussain *

Pour contrer «l’Axe de la Résistance» dirigé par l’Iran, les États-Unis ont bricolé un «Axe de répression» pour maintenir le statu quo régional, gelant les conflits comme la Palestine et le Cachemire pour combattre le «véritable ennemi», la Chine. Washington s’efforçait de relier un Moyen-Orient centré sur Israël à un «Indo-Pacifique» centré sur l’Inde, pour compléter et soutenir la nouvelle guerre froide menée par les États-Unis contre la Chine. Essentiellement, l’Inde reproduit la politique de répression israélienne au Cachemire occupé, avec la complicité américaine, de sorte que la stratégie régionale américaine reposerait sur des «piliers jumeaux», Israël au Moyen-Orient et l’Inde en Asie du Sud.

L’opération Déluge d’Al-Aqsa brise le calme

À peine quinze jours avant le lancement du Déluge d’Al-Aqsa, trois développements distincts mais liés ont corroboré cette politique.

Premièrement, le 22 septembre, Netanyahu a fièrement dévoilé la carte du «nouveau Moyen-Orient» à l’Assemblée générale des Nations Unies, où les Palestiniens étaient visiblement absents.

Deuxièmement, le 20 septembre, à la suite du sommet du G20 à New Delhi, le corridor Inde-Israël Moyen-Orient-Union européenne (IMEC) a été lancé en grande pompe, présenté comme la réponse occidentale à l’initiative chinoise très réussie de la Belt and Road Initiative (BRI) ou la Ceinture et la Route.

Troisièmement, en mai 2023, le conseiller à la sécurité nationale du président Biden, Jake Sullivan, a personnellement emmené son homologue indien, Ajit Doval, rencontrer le Premier ministre saoudien et le prince héritier Muhammad Bin Salman pour «faire progresser leur vision commune d’une région du Moyen-Orient plus sûre et plus prospère, interconnectée avec l’Inde et le monde». Et le 2 octobre, Jake Sullivan écrivait dans l’influent magazine Foreign Affairs que «le Moyen-Orient n’a jamais été aussi calme qu’aujourd’hui». Cinq jours plus tard, l’opération Déluge d’Al-Aqsa a brisé ce calme ! En fait, l’administration Biden est la première administration américaine en 50 ans à avoir même renoncé à lancer un «processus de paix» pour le Moyen-Orient, se contentant du statu quo d’une occupation coercitive soutenu par Israël.

Le retour fracassant de la «question palestinienne»

Six conséquences stratégiques d’un Moyen-Orient remodelé ont émergé du Déluge d’Al-Aqsa.

Premièrement, Israël et les États-Unis essayaient de «mettre en scène Hamlet sans le prince du Danemark», en d’autres termes, de construire un «nouveau Moyen-Orient» sans la Palestine : promouvoir les liens israéliens avec les pays arabes et musulmans en contournant les Palestiniens, comme si la question de la Palestine n’est plus d’actualité. Cette politique est aujourd’hui en lambeaux : aucune paix ni stabilité durable n’est possible au Moyen-Orient sans un État palestinien indépendant.

Deuxièmement, un mythe a été créé sur l’invincibilité de l’armée et des services de renseignement israéliens, selon lequel l’armée israélienne et le Mossad sont «les meilleurs, les plus brillants et les plus forts» du Moyen-Orient, et qu’Israël est une forteresse imprenable dont la sécurité est censée être infaillible. Quelque 1 400 combattants palestiniens déterminés ont fait exploser ce mythe lors du Déluge d’Al-Aqsa le 7 octobre.

Troisièmement, Israël se présentait comme un refuge, une «île de paix et de tranquillité dans la mer d’un monde musulman turbulent, instable et faible», l’endroit le plus sûr du Moyen-Orient. Aujourd’hui, ils disent qu’ils ont subi les plus grandes pertes depuis l’Holocauste et que près d’un tiers de leurs derniers chars Merkava de «5e génération» ont été détruits !

Quatrièmement, «l’Axe de la Résistance» dirigé par l’Iran s’est montré plus résilient que «l’Axe de la répression», alors que la troïka dirigée par l’Iran, composée du Hamas, du Hezbollah et des Houthis du Yémen, a resserré l’étau tactique autour des voies de navigation, de la diplomatie et stratégie militaire au Moyen-Orient, et Téhéran joue désormais un rôle central dans la stabilité du Moyen-Orient, avec une présence en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. Au lieu d’encercler et de contenir l’Iran, c’est Israël qui se sent désormais encerclé, d’où l’envoi désespéré par les États-Unis de deux porte-avions et le bricolage d’une coalition anti-Houthi.

Le «meilleur cadeau d’anniversaire» à Poutine

Cinquièmement, le Déluge d’Al-Aqsa a apparemment été célébré à Moscou comme le «meilleur cadeau d’anniversaire» au président Poutine, alors que la guerre en Ukraine est désormais reléguée au second plan et que les États-Unis se trouvent soudainement confrontés à une situation sur trois fronts : l’Ukraine, le Nouveau-Mexique, la Guerre froide en Asie-Pacifique contre la Chine et la tempête au Moyen-Orient, un scénario stratégique intenable pour les décideurs politiques de Washington. Une conséquence du Déluge d’Al Aqsa : la probable défaite de Biden à l’élection présidentielle de 2024, ouvrant la perspective du retour de Trump.

Sixièmement, le Déluge d’Al Aqsa donne naissance à une nouvelle fracture mondiale Sud-Nord. Le Sud global, dirigé par la Chine et soutenu par la Russie, présente une option stratégique, une vision du monde alternative au Nord global dirigé par les États-Unis, qu’il s’agisse de Gaza, de l’Ukraine, de la BRI ou de l’hégémonie du dollar. Le centre de gravité mondial se déplace inexorablement vers le Sud, et le Déluge d’Al-Aqsa a accentué cette fracture, comme en témoigne le vote aux Nations Unies.

Gaza est aussi le premier génocide télévisé de l’histoire. Malgré la capacité brutale d’Israël à tuer, les Palestiniens restent inébranlables dans leur détermination et leur volonté de résister et de mourir pour la cause de la liberté. Les Palestiniens gagnent en ne perdant pas. Et Israël a également perdu la «bataille des récits».

Il est encore temps pour les États-Unis et Israël de lire ce qui est écrit sur le mur : mettre fin au génocide, mettre fin à l’occupation et prendre des mesures pour établir un État palestinien indépendant. L’histoire juive est elle-même un témoignage vivant de la rupture du mythe nazi de la «solution finale». Washington devrait tirer les leçons de ses propres erreurs et échecs dans l’histoire récente : après avoir chassé les talibans afghans en 2001, il a fallu 20 ans et gaspillé 2 200 milliards de dollars en Afghanistan avant de négocier avec ces mêmes talibans afghans qu’ils qualifiaient autrefois de « terroristes », pour faciliter leur revenir au pouvoir. Représentant les aspirations palestiniennes, symbole de défi de Gaza, le Hamas, également qualifié de «terroriste» par l’Occident, est, au moins, une organisation démocratiquement élue qui a remporté des élections libres à Gaza en 2006 et qui accepte le droit légitime des Palestiniens de déterminer leur avenir. La liberté est un petit prix que les États-Unis doivent payer pour une paix, une sécurité et une stabilité durables au cœur du monde musulman.

Traduit de l’anglais.

Source : The Express Tribune.

* Membre du Sénat du Pakistan.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.