Pour une diplomatie tunisienne dynamique, agissante et responsable

La fonction de diplomate, qu’il soit ambassadeur ou membre de la mission diplomatique, a beaucoup changé au cours des deux dernières décennies. Elle est devenue plus riche et plus passionnante, mais aussi plus difficile et exigeante, qui requiert les qualités d’un véritable homme orchestre.

Par Raouf Chatty *

Lors d’une cérémonie officielle tenue avant hier au Palais de Carthage, le président Kaïs Saïed a donné leurs lettres de créance à dix nouveaux ambassadeurs de Tunisie respectivement en Autriche, au Brésil, au Canada, en France, en Italie, au Japon, à Malte, en Pologne, au Nigeria, et dans la République démocratique du Congo.

Le chef de l’État, chef de la diplomatie tunisienne, a rappelé lors de cette réunion l’importance capitale que nos ambassadeurs doivent accorder dans leur travail à la question de la souveraineté nationale, à la préservation des intérêts de l’Etat et du peuple tunisiens et à la défense de la cause palestinienne. 

Le message martelé à plusieurs reprises par le chef de l’Etat est clair : la défense de la souveraineté nationale est une composante fondamentale de la mission de l’ambassadeur et de son équipe. Elle est la priorité  des priorités. Ils sont les représentants officiels de la Tunisie. Il leur incombe de travailler pour la préserver et la renforcer en sachant déployer avec mesure et tact les actions nécessaires pour renforcer par les moyens légaux les attributs de cette souveraineté.

Une mission plus riche et plus exigeante

Les ambassadeurs désignés savent qu’ils ont un mandat étendu. Leurs missions couvrent divers domaines : le développement des relations politiques, économiques, financières,  commerciales, culturelles, la défense de la communauté tunisienne dans les pays d’affectation respectifs, la promotion de la Tunisie et de son image de marque. Un champ vaste qu’ils doivent savoir meubler avec méthode, réalisme et détermination. 

Les récipiendaires sont des diplomates de carrière. Ils connaissent bien leurs tâches. Chacun dispose de vingt ans d’expérience professionnelle au minimum. Ils comptent  parmi les meilleurs hauts fonctionnaires au Département. Certains parmi eux ont déjà été ambassadeur dans d’autres postes. J’en cite nos ambassadeurs à Paris, à Rome, à Berlin, Cambera…

D’autres le sont pour la  première fois. Mais ils comptent parmi les meilleurs de leur génération. Le ministre des Affaires étrangères a certainement pris son temps pour sélectionner ces chefs de poste avant de les présenter au Président de la République. Il assume en la matière une grande responsabilité, car parmi les candidats en lice, il doit choisir ceux qui répondent le mieux à tous points de vue aux attentes du chef de l’Etat, aux attentes de la Tunisie, aux exigences de la fonction, et aux contraintes  du poste. 

Le ministre Nabil Ammar qui était en poste à Londres et à Bruxelles sait bien que la fonction de diplomate, qu’il soit ambassadeur ou membre de la mission diplomatique, a beaucoup changé, notamment depuis ces deux dernières décennies. Elle est devenue beaucoup plus riche, plus difficile et exigeante qu’elle ne l’était dans le passé.

Le diplomate est aujourd’hui pressé par le temps, sur le qui-vive, rapidement doublé et pris en défaut dans son travail par les puissants moyens de communication, l’ampleur des réseaux sociaux, la compétition effrénée des entreprises, le tsunami des informations, les contraintes du calendrier, le stress du quotidien, la concurrence des ses collègues étrangers en direction des acteurs politiques, économiques dans le pays d’accueil, collègues qui pourraient être beaucoup mieux équipés que lui en moyens humains et financiers… les attentes nombreuses de son pays, sans oublier le peu de moyens dont il dispose. 

Entre le marteau et l’enclume

Ceux qui croient que les diplomates ont la tâche facile, qu’ils partagent leur temps entre les réceptions d’usage et les délicatesses ne savent pas grand-chose aux servitudes de la vie diplomatique. Car les diplomates n’ont souvent ni du temps pour eux ni pour leurs familles. Ils sont constamment au travail, peu importe le lieu où ils se trouvent. Ils se savent sollicités, de part et d’autres et ils sont souvent entre le marteau et l’enclume. Un diplomate est un passe-partout et n’a pas droit à l’erreur, sa force d’adaptation et son intelligence des situations sont ses principaux alliés. 

Bref, la fonction  de diplomate est aujourd’hui très éprouvante. L’ambassadeur et son équipe subissent les assauts, les demandes pressantes de la capitale et les contraintes du pays d’affectation.

Pour s’acquitter au mieux de sa mission, beaucoup de talents et de qualités lui sont nécessaires : des qualités humaines certaines, du leadership, du charisme, une véritable capacité de management, une clairvoyance à toute épreuve, une grande capacité d’écoute, de synthèse et d’analyse, une excellente maîtrise des langues, une connaissance approfondie de l’histoire, des cultures et des mœurs du pays d’affectation, son environnement institutionnel et politique, son économie…, beaucoup de relationnel et de tact, une bonne expérience des hommes, des dossiers, de l’environnement national, régional et international comme des ambitions que les deux pays nourrissent l’un pour l’autre et ce qu’ils attendent l’un de l’autre. 

N’oublions pas non plus qu’au-delà de tous ces paramètres, l’ambassadeur est le reflet de son pays, car il tire en premier lieu sa force et son crédit de la crédibilité, de la stabilité et du dynamisme de son pays…

Pour rayonner, il a besoin que son pays rayonne également. Et que son État et sa société le soutiennent par leur rigueur, leur travail et leur dynamisme. 

Bref, l’accréditation d’un ambassadeur est toujours un acte politique important. Elle  touche au temps de l’Etat, précieux par définition, et à l’argent public, souvent rare. Elle génère des dépenses importantes pour le pays. Et attend en retour des dividendes, également pour le pays…

Les événements nous prouvent chaque jour que le monde a plus que jamais besoin de diplomates et de diplomatie. Celle-ci demeure le meilleur moyen de bâtir des relations  pacifiques entre les nations, de régler les conflits, de renforcer la paix et la sécurité.

Et même si la fonction n’a plus aujourd’hui l’aura qu’elle avait dans le passé. Il reste que l’ambassadeur demeure le trait officiel de liaison au plus haut niveau d’un État auprès d’un autre État. Il est la voix et le porte parole officiel de son pays auprès du pays où il est  accrédité et qui a formellement accepté de le recevoir sur son sol.

Les ambassadeurs ayant prêté serment devant le président de la république le 5 janvier 2024 au Palais de Carthage sont Dhia Khaled (France), Zouhair Bouras (Malte), Taoufik Chebbi (Pologne), Mahrez Ferchichi (République démocratique du Congo), Samia Elhem Ammar (Autriche), Nabil Lakhal (Brésil), Mourad Bourehla (Italie), Ahmed Chafra (Japon), Mohsen Antit (Nigeria) et Lassaad Boutara (Canada).

A ce titre, son pays comme celui où il est affecté attendent beaucoup de lui. Il faut toutefois que son administration de tutelle l’aide dans l’accomplissement de ses missions. Sa tâche est de l’écouter, de le comprendre, de prêter l’oreille à ses doléances, de suivre ses conseils, car il est sur le terrain, mais elle doit lui fixer sa feuille de route en fonction des ambitions qu’elle a pour le poste en question, du volume de la coopération et des dividendes qu’elle entend engranger vis-à-vis du pays d’affectation et des capacités intérieures du pays d’envoi. 

C’est de la sorte que les grands pays mettent à profit leurs missions diplomatiques et consulaires. Pour chaque ambassadeur, une charte par objectifs est fixée, une feuille de route réaliste et réalisable compte tenu du potentiel économique, commercial et culturel du pays où il est affecté tout comme des offres que le pays d’envoi pourrait procurer.

Au plus près de la colonie à l’étranger  

Cette feuille de route servira pour l’évaluation à mi-chemin des réalisations de l’ambassadeur et de son équipe et du chemin parcouru par leurs soins dans la concrétisation  des objectifs fixés par sa hiérarchie pour le poste. Le ministère assume une grande responsabilité en la matière. Ses services en charge de la diplomatie économique et culturelle ont un rôle majeur à jouer comme ceux qui sont en charge de la gestion de la colonie tunisienne à l’étranger dont le nombre avoisine aujourd’hui  les 1 900 000 Tunisiens : en Europe, dans les pays du Golfe, aux États-Unis d’Amérique, au Canada,  en Afrique… avec une diversification de plus en plus perceptible de cette colonie, formée de plus en plus aujourd’hui par de compétences dans plusieurs domaines scientifiques et techniques. 

L’administration doit avoir présent à l’esprit que ses attentes de ses ambassadeurs varient de manière objective d’un ambassadeur à un autre. Car il est absurde de les mettre tous sur le même plan d’égalité au niveau rendement. On ne demande pas à un chef de poste affecté dans un pays développé économiquement nanti ce que l’on est en droit de demander à un ambassadeur affecté dans un pays en voie de développement, ayant peu de choses à offrir.

Il faut que le ministère des Affaires étrangères laisse le temps aux ambassadeurs tunisiens de fixer en coordination avec lui leurs feuilles de route et leur fasse confiance pour s’acquitter de leurs missions. Ainsi, il pourrait évaluer leur rendement, de manière équitable et juste. A eux également de savoir s’affirmer et de faire preuve d’imagination et de courage pour réussir leurs missions en sortant des sentiers battus, et en sachant tirer profit de leur mandat pour aller de l’avant dans la concrétisation des objectifs de la politique étrangère de la Tunisie. 

* Ancien ambassadeur.

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