Face à l’engagement de l’Afrique du Sud dans le procès intenté à Israël devant la CIJ pour crimes de guerre à Gaza, les Etats arabes oscillent entre un lâchage qui se rapproche dangereusement de la trahison pure et simple et l’instrumentalisation populiste de la cause palestinienne qui fond comme l’écume à la moindre brise.
Par Elyes Kasri *
Depuis 2011, la Tunisie est aux prises avec une vague de juridisme avec des juristes tenant le haut du pavé et une multitude de lois et de constitutions qui n’arrivent pas jusqu’à ce jour à améliorer le quotidien du citoyen ni sa confiance dans un avenir prospère. La morosité ambiante et la vague migratoire n’en sont que les illustrations les plus visibles.
Depuis 2019, la cause palestinienne, de tout temps chère aux Tunisiens, a revêtu une valeur cardinale donnant même des fois l’impression de prendre les devants sur les contraintes et exigences de sortie de crise et de développement économique national.
La contribution de la Tunisie aux démarches en cours auprès de la Cour Internationale de Justice (CIJ) à l’initiative de l’Afrique du Sud et éventuellement ultérieurement auprès de la Cour Pénale Internationale (CPJ), selon les compétences spécifiques de ces deux instances internationales, seront un test crucial pour la Tunisie et son soutien à la défense des droits légitimes du peuple palestinien.
Israël dans le collimateur de la justice internationale
Organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, la CIJ a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour est composée de 15 juges, élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’Onu. Elle a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). La Cour a une double mission, consistant, d’une part, à régler, conformément au droit international, les différends juridiques dont elle est saisie par les États et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques que peuvent lui poser les organes et les institutions spécialisées de l’Onu.
L’Afrique du Sud a déposé une requête introductive d’instance contre Israël au sujet de supposés manquements par cet État aux obligations qui lui incombent au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (la «Convention contre le génocide») en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza.
Les 9 injonctions demandées par l’Afrique du Sud incluent qu’Israël cesse immédiatement ses opérations militaires à Gaza, prenne les mesures nécessaires pour prévenir le génocide contre les Palestiniens, s’assure que les personnes déplacées retournent chez elles et aient accès à l’assistance humanitaire, y compris la nourriture, l’eau, le carburant, les fournitures médicales et d’hygiène, les abris et les vêtements, prenne les mesures nécessaires pour punir les personnes impliquées dans le génocide, conserve les preuves du génocide, et soumette des rapports réguliers à la Cour sur la mise en œuvre des injonctions.
Discrétion et ambivalence des Etats arabes
Après des épisodes qui ont suscité une certaine incompréhension lors de la participation de la Tunisie en tant que membre non permanent du Conseil de Sécurité (2020-2021) avec le limogeage sans discrétion et dans un laps de temps relativement court de deux représentants permanents auprès de l’Onu (l’ambassadeur Moncef Baati suivi par l’ambassadeur Kaïs Kabteni) et les contraintes évidentes à une assistance matérielle conséquente sur le terrain à Gaza et ailleurs en Palestine occupée, les délibérations sur les violations du droit international par Israël à l’encontre du peuple palestinien et le crime de génocide commis à Gaza offriront à la Tunisie l’occasion de montrer d’une manière tangible la solidité de son soutien à la cause palestinienne et la capacité de sa diplomatie de jouer un rôle effectif sur la scène internationale au moins pour faire prévaloir le droit international.
Si jusqu’aux dernières nouvelles, la Jordanie semble avoir été le seul pays arabe à soutenir la démarche sud-africaine auprès de la CIJ, d’autres pays pourraient renforcer les rangs de eux appelant à la condamnation des pratiques génocidaires israéliennes à Gaza.
Toutefois, certains ne semblent pas s’étonner des positions de la majorité des gouvernements arabes et imputent cette «discrétion» à l’ambivalence traditionnelle des responsables arabes qui oscillent historiquement entre un lâchage qui se rapproche dangereusement de la trahison pure et simple et d’autre part une instrumentalisation populiste qui fond comme l’écume à la moindre brise.
La Ligue Arabe et autres groupements régionaux arabes notamment l’Union du Maghreb Arabe révèlent dans ces circonstances leurs divergences, inutilité et absence de tout poids sur la scène internationale.
Si ce n’était la bravoure des Gazaouis, les dirigeants arabes, à quelques exceptions minimes qui restent à prouver, semblent être le meilleur cadeau au projet sioniste et même plus que la légende de la terre promise et le soutien déclaré des Etats-Unis d’Amérique.
* Ancien ambassadeur.
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