Hausse des avortements en Tunisie : un faux débat

La hausse du nombre d’avortements effectués dans les établissements publics de santé en 2023 en Tunisie, par rapport à l’année précédente, a suscité un débat dans le pays, souvent biaisé par des considérations religieuses qui n’ont pas lieu d’être.

Par Imed Bahri     

Ce débat a été provoqué par une déclaration faite aux médias par Mohsen Hassen, psychologue et directeur de l’Office national de la famille et de la population (ONFP), en marge d’une conférence organisée à Tunis sur la famille migrante. Selon cette déclaration, près de 20 000 avortements ont été recensés dans les établissements publics de santé en Tunisie en 2023. Ce chiffre est en augmentation par rapport à l’année précédente, mais il n’est pas exhaustif, puisqu’il faut lui ajouter le nombre des opérations d’interruption de grossesse effectuées dans les cliniques privées.

Cette hausse est due à plusieurs facteurs, dont le mariage tardif, les relations sexuelles hors mariage et la présence dans le pays de nombreux migrants en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne.

La hausse du nombre d’avortements doit être analysée à l’aune des évolutions économiques et sociales et les réponses à apporter à ce phénomène doivent aussi être à caractères économique et social. Les considérations de religion ou de morale appliquées à des situations de difficulté, vécues par les couples et particulièrement par les femmes, risquent de déformer notre vision et d’ajouter à la détresse des femmes qui se trouvent souvent contraintes de se débarrasser d’une grossesse non désirée ou dont elles ne peuvent assumer les conséquences humaines, économiques et sociales.

Sur un autre plan, le taux de natalité brut par 1000 habitants ou taux de fécondité en Tunisie, qui est estimé à 2,11 enfants par femme (chiffre de 2020), équivaut à celui du renouvellement de la population, qui est fixé à 2,1 enfants par femme. On ne peut donc pas craindre des difficultés démographiques à court terme, même si la montée du phénomène de l’émigration (il y aurait aujourd’hui près de 1,5 million d’expatriés Tunisiens sur une population totale de 12,5 millions) et le vieillissement de la population pourraient, à moyen et long termes, perturber cet équilibre précaire. En effet, en Tunisie, la proportion actuelle des personnes âgées de 60 ans et plus est de 9%, mais on prévoit le doublement de cette proportion en 2029.

Rappelons que la Tunisie est l’un des premiers pays arabes à avoir reconnu le droit à l’avortement pour les femmes, mariées ou non, en vertu du décret-loi N° 73-2 du 26 septembre 1973, modifiant l’article 214 du Code pénal. Mais aucun des gouvernements qui se sont succédé dans le pays n’ont remis en question cette loi et les pratiques sociales qu’elle a instaurées. Et les islamistes d’Ennahdha, qui ont été associés au pouvoir entre 2011 et 2021, n’ont pas osé s’y attaquer, les Tunisiennes étant restées vigilantes dans la défense de leurs acquis et droits.

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