Les Houthis, stars incontestables du Moyen-Orient post-7 octobre!

Presque cinq mois après l’opération Déluge d’Al-Aqsa, le conflit ne se limite plus à Gaza mais s’est répandu comme une traînée de poudre partout dans le Moyen-Orient et même au-delà, les États-Unis y sont de retour alors qu’ils ont préféré jusque-là prendre leur distance pour se consacrer à l’Asie-Pacifique, et enfin les mouvements armés soutenus par l’Iran ont gagné en influence et en popularité dans le monde arabo-musulman et en premier lieu desquels Ansar Allah ou les Houthis. Le mouvement qui jusqu’à il n’y a pas si longtemps n’était qu’un simple protagoniste sur la scène yéménite s’est propulsé aujourd’hui en véritable protagoniste régional  considéré comme un héros dans la région et comme la nouvelle star de l’échiquier international dont tout le monde parle. Décryptage. (Illustration : Des membres de tribus fidèles aux Houthis défilent sur les drapeaux américains et israéliens lors d’un défilé militaire pour les nouvelles recrues tribales. Ph. Khaled Abdullah/Reuters).

Par Imed Bahri

«Si vous dessiniez un diagramme montrant qui tire sur qui au Moyen-Orient, cela ressemblerait de plus en plus à un bol de spaghetti. Ce qui a commencé en octobre comme une guerre entre Israël et le Hamas a désormais attiré des combattants de quatre autres États arabes. En outre, l’Iran, Israël et la Jordanie ont tous bombardé la Syrie ce mois-ci. L’Iran a également bombardé de manière inattendue le Pakistan, qui a dû se demander comment il s’était retrouvé entraîné dans ce pétrin», a écrit le magazine britannique The Economist dans un article intitulé «La guerre au Moyen-Orient qui ne cesse de s’étendre». Le magazine ajoute: «La guerre à Gaza entrera dans son cinquième mois malgré le sentiment croissant en Israël que les combats se sont transformés en bourbier. L’armée israélienne n’a pas retrouvé les dirigeants du Hamas ni les otages qu’ils détiennent.»

L’Iran au centre du jeu au Moyen-Orient 

The Economist confirme que les trois pays les plus puissants du Moyen-Orient ont réévalué depuis le 7 octobre leur doctrine sécuritaire: la supériorité israélienne a été ébranlée, les groupes mandataires se sont tournés vers leur sponsor l’Iran quant aux États-Unis, ils ont été à nouveau attirés dans la région alors qu’ils sont désireux de partir et personne ne sait comment les choses vont évoluer.

L’analyse du magazine britannique s’est intéressé particulièrement à l’Irak et considère qu’alors que la guerre à Gaza se poursuit, les conflits chaotiques s’étendent dans la région rappelant que le 20 janvier, les milices ont lancé un déluge de missiles contre les forces américaines sur la base d’Aïn Al-Assad en Irak. Les batteries Patriot en ont intercepté la plupart mais certaines ont touché des soldats américains et irakiens. Ces attaques ont eu lieu après des bombardements iraniens dans la région contre des terroristes présumés en Syrie et au Pakistan et contre un site censé être un nid pour les espions israéliens au Kurdistan irakien.

Les raids iraniens contre le Pakistan ont conduit à des représailles avant que la situation ne se stabilise et ne revienne à la normale entre les deux pays. Ces raids reflètent le malaise iranien alors qu’Israël assassine les dirigeants des Gardiens de la révolution en Syrie et les dirigeants du Hezbollah au Liban.

L’Iran a subi des opérations terroristes sur son propre territoire dont l’une a entraîné la mort d’une centaine de personnes le 4 janvier dernier à Kerman, la ville de l’ancien commandant des Forces Al-Quds le général Qassem Soleimani assassiné par les États-Unis où une marée humaine y était rassemblée pour commémorer la quatrième année de sa disparition. 

Toutefois, le grand protagoniste qui a changé de dimension et est devenu la nouvelle star de l’échiquier régional et international dont tout le monde parle, qui est devenu l’objet de curiosité de l’opinion publique internationale et qui accapare la grande attention des médias notamment occidentaux est le mouvement yéménite chiite Ansar Allah, communément appelé les Houthis par référence à son fondateur Husseïn Al-Houthi et dirigé aujourd’hui par son frère cadet Abdelmalek Badreddine Al-Houthi. Le New York Times est revenu dans un article intitulé «Formée au Yémen, la propagande houthie se mondialise» sur la nouvelle dimension des Houthis, l’aura dont ils bénéficient désormais dans le monde arabo-musulman suite à leur soutien très fort à la cause palestinienne ainsi qu’à la place centrale accordée à la communication par le mouvement yéménite.  

Le journal américain considère que «la guerre à Gaza donne à la milice Houthi une audience internationale, le groupe a saisi l’opportunité de porter son message bien au-delà des frontières du Yémen.» Le New York Times décrit que le mouvement Houthi après avoir détourné un navire commercial dans la mer Rouge et pris en otage ses 25 membres de son équipage avait publié «un clip vidéo magnifiquement réalisé intitulé Jihad Axis dans lequel une caméra de drone survolait l’énorme navire et un poète est apparu sur le pont de ce navire accompagné de photos de Qassem Soleimani -le général iranien assassiné en 2020- et a commencé à réciter son poème ‘‘Mort à l’Amérique et au sionisme agresseur’’ et était accompagné d’une voix qui ne s’arrêtait pas de déclamer Si Dieu le veut, nous ne serons pas vaincus.»

Le journal américain affirme que les Houthis qui contrôlent la majeure partie du nord-ouest du Yémen, sont doués pour produire de la propagande, embellir des poèmes et produire des programmes télévisés et des vidéoclips attrayants afin de diffuser leurs messages. Le cadre de leur propagande est resté au Yémen et les téléspectateurs soutiennent leur vision dans le monde arabe mais ils n’ont jamais eu une large audience internationale car la guerre à Gaza les a propulsés au centre de la bataille mondiale ce qui a attiré de nombreux fans à travers le monde.

Une guerre de communication

Les Houthis ont non seulement exploité la colère arabe contre la dure guerre israélienne contre Gaza mais ont également transmis leurs messages à l’Asie du Sud-Est, à l’Europe et aux Amériques où peu de gens connaissent grand-chose du groupe ou «de son histoire répressive» contre les Yéménites.

Mohamed Bakhiti, un éminent politicien houthi, a écrit sur la plateforme X que «la victoire dans le domaine de la prise de conscience est plus importante que la victoire sur le champ de bataille» où il a publié une vidéo d’une interview réalisée avec lui par un écrivain américain.

Bakhiti a utilisé dans ses publications sur X la langue anglaise et y a critiqué l’impérialisme occidental et le sionisme. Il a également encouragé ses followers américains à lire les écrits du penseur américain de gauche Noam Chomsky. Il a écrit  notamment : «Je vais maintenant diffuser le message aux peuples des pays occidentaux et j’espère que les peuples du monde libre le diffuseront à nouveau sur une base plus large.»

Bakhiti dont parle le NYT apparaît souvent sur Al Jazeera, Al Araby ainsi que d’autres chaînes arabes où il intervient pour expliquer les positions de son mouvement et se montre toujours calme et souriant. Il se démarque de beaucoup de dirigeants d’Ansar Allah en s’habillant généralement à l’occidental alors que la plupart de ses camarades du mouvement arborent l’habit traditionnel yéménite, avec le fameux poignard attaché à la ceinture. 

Un certain nombre de ceux qui ont un grand nombre de followers sur les plateformes des réseaux sociaux ont exprimé une tendance à publier des messages pro-Houthi en anglais et à féliciter le groupe pour avoir défié Israël et son allié, les États-Unis.

Le journal américain a cité Hanna Porter, une chercheuse indépendante au Yémen qui a étudié les Houthis, disant: «Ils travaillent dans ce sens depuis des années et ils sont ouverts à ce qu’on appelle une guerre douce, c’est-à-dire une guerre psychologique, qui est aussi importante sinon plus importante que la guerre elle-même.» 

Les nouveaux héros du Moyen-Orient  

Porter dit que le mouvement a commencé comme un mouvement lié à une tribu qui souhaitait faire revivre le zaïdisme (l’une des branches du chiisme) culturellement et religieusement et s’appuyait sur des méthodes traditionnelles telles que le journalisme, les affiches et les camps d’été pour les enfants.

Cependant, la transformation du mouvement opérée par Hussein Al-Houthi et sa mue en groupe rebelle contre le gouvernement de Sanaa au début de ce siècle ont conduit à l’évolution et au changement de la machine de propagande du groupe, explique Porter. Les Houthis ont déclaré leur objectif de lutter contre la corruption et les influences étrangères. Ils ont élargi leur présence médiatique auprès du public arabophone en créant la chaîne Al-Masirah qui diffuse depuis Beyrouth.

Après leur alliance avec le président déchu Ali Abdallah Saleh, celui-là même avec lequel ils ont mené plusieurs guerres, ils sont entrés dans la capitale Sanaa et ont survécu à une alliance internationale soutenue par les États-Unis pour les renverser et ont même établi un quasi-État qu’ils dirigent fermement. Aujourd’hui, ils se considèrent comme le gouvernement légitime et ignorent le gouvernement qu’ils ont chassé de Sanaa et que la coalition menée par l’Arabie Saoudite avait tenté en vain de le restaurer.

Aujourd’hui, l’un des éléments les plus frappants c’est qu’à l’exception du Hamas et de l’autre mouvement de la résistance palestinienne beaucoup plus discret le Jihad Islamique, tous les autres mouvements de l’Axe de la résistance sont chiites et non sunnites et en même temps, ils bénéficient d’une grande aura et d’une énorme popularité y compris dans les pays arabes sunnites beaucoup plus que les gouvernements de ces pays dont beaucoup ont choisi la voie de la normalisation avec Israël encouragée par les États-Unis mais à laquelle les peuples s’opposent catégoriquement.

Ce décalage entre gouvernants et gouvernés dans les pays arabes profite aux mouvements de l’Axe de la résistance et fait de ses dirigeants de véritables héros voire des icônes et ce n’est pas un hasard si à la fin de l’année écoulée un sondage en ligne mené par la version arabe du site russe Sputnik a fait émerger Abdelmalek Badreddine Al-Houthi comme dirigeant arabe préféré suivi par Yahya Sinwar et Hassan Nasrallah.

Incontestablement, les Houthis sont devenus les stars du Moyen-Orient post-7 octobre et leur détermination à continuer à cibler les navires israéliens et les navires se dirigeant vers Israël tant que le génocide des palestiniens se poursuive à Gaza ne fera que confirmer cette posture. Le mouvement est désormais un acteur régional de premier plan et si ce n’était pas le cas, il ne ferait pas l’objet d’une guerre américano-britannique qui s’acharne à entamer ses capacités opérationnelles.

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