Tunisie : les leçons de la condamnation de Rached Ghannouchi

Le Tribunal de première instance de Tunis a condamné, le 1er février 2024, Rached Ghannouchi à trois ans de prison dans l’affaire dite de lobbying et de financement politique étranger. Le concerné, qui est incarcéré depuis dix mois, pourra faire appel de ce jugement qui a une portée historique, et l’affaire suivra naturellement son cours.  

Par Raouf Chatty *

Nous sommes face à la chute d’un grand symbole de la vie politique tunisienne. Et paradoxalement, ce jugement a beau concerner le président du mouvement islamiste Ennahdha, il ne suscitera pas de remous dans l’opinion publique tunisienne, qui tient le mouvement islamiste et son chef pour principaux responsables des déboires du pays durant la décennie 2011-2021, justement baptisée «décennie noire» par certains analystes politiques.

Exaspéré par les abus de toutes sortes commis par les islamistes, le peuple leur avait déjà «non» et «basta», spontanément et massivement, en descendant dans les rues le jour de la fête de la république, un certain 25 juillet 2021. Ils avaient d’ailleurs échappé de justesse, ce jour-là, au lynchage des foules déchaînées.

Cela dit, tout amalgame que des parties nationales ou internationales seraient tentées d’entretenir à des fins politiciennes à ce sujet, en voulant accréditer l’idée d’un jugement  politique ciblant le président du parti Ennahdha doit être d’emblée rejeté.

Le tribunal a appliqué la loi en vigueur qui interdit le financement étranger des partis politiques. Il disposait d’éléments solides attestant que le dirigeant Ennahdha et son gendre Rafik Bouchlaka, en fuite au Royaume-Unis, ont disposé de moyens financiers étrangers qui leur ont permis de faire du lobbying pour le leur parti aux Etats-Unis, comme les journaux l’ont révélé en 2019 sur la base d’éléments diffusés par le ministère de la Justice américain. 

Le tribunal a examiné le dossier sur le plan strictement juridique, sans tenir compte du statut politique des auteurs des actes incriminés. Son unique motivation aura été la stricte application de la loi. Il n’y a aucun doute possible là-dessus.

Ennahdha n’a pas manqué de crier au procès politique. Le contraire nous aurait étonnés. Car  Rached Ghannouchi a toujours cru qu’il était intouchable. Et il avait tort. La roue de l’histoire ayant tourné, c’est tout naturellement qu’il s’était retrouvé sur le banc des accusés. Et qu’il avait dû rendre des comptes de certains de ses actes.

Ce verdict est tombé au moment où le parti islamiste est fissuré, déstructuré, abandonné par beaucoup de ses anciens militants et tombé en désuétude. Il reste à espérer que ses dirigeants restés en liberté seront en mesure de voir les choses en face, d’éviter la fuite en avant dans le déni et de tirer les leçons de leurs errements passés afin de repartir sur de nouvelles bases.

Ils feraient preuve de courage et de responsabilité en faisant publiquement leur mea culpa, en reconnaissant leurs erreurs, en arrêtant de jouer aux victimes, rôle dans lequel ils avaient longtemps brillé, et surtout en rendant des comptes pour les torts qu’ils ont commis et qui resteront gravés dans la mémoire des générations. 

* Ancien ambassadeur. 

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