On observe, ces dernières années, en Tunisie, une diminution sensible du pourcentage d’élèves inscrits en section maths. Les élèves de cette section qui se sont présentés aux épreuves du baccalauréat en juin 2023 ne représentaient que 6,2% de l’ensemble des candidats. Mais pourquoi faut-il s’inquiéter de cette tendance? Les mathématiques sont-elles nécessaires pour que le système éducatif réponde aux besoins de l’économie et de la société? Quelle place occupent les mathématiques dans le développement d’une nation ou d’une civilisation ?
Par Raouf Laroussi *
«Il n’y a pas de profit là où il n’y a pas de plaisir. En bref, monsieur, étudiez ce qui vous touche le plus.»(William Shakespeare, ‘‘La mégère apprivoisée’’)
Ah les mathématiques ! Souvent décrites comme une science dure. La plus dure des sciences même. Certains élèves en font une bête noire. Les parents s’inquiètent quant aux résultats de leurs enfants en mathématiques et essaient de remédier aux insuffisances réelles ou fantasmées par des cours particuliers onéreux.
Cette phobie se traduit, en Tunisie, par une désaffection de plus en plus marquée de la section mathématique au niveau de l’orientation après les deux premières années au lycée. Ainsi on observe, ces dernières années, une diminution sensible du pourcentage d’élèves inscrits en section maths. Les élèves de cette section qui se sont présentés aux épreuves du baccalauréat en juin 2023 ne représentaient que 6,2% de l’ensemble des candidats. Mais pourquoi faut-il s’inquiéter de cette tendance? Les mathématiques sont-elles nécessaires pour que le système éducatif réponde aux besoins de l’économie et de la société ? Quelle place occupent les mathématiques dans le développement d’une nation ou d’une civilisation ? Pour répondre à ces questions, il n’est pas inutile de plonger dans l’histoire des mathématiques à travers les âges.
Bien que passionné par les maths dont il a fait sa profession en tant qu’enseignant, l’auteur de ces lignes n’est pas un historien des sciences. Mais, la passion, Google et ChatGPT aidant, il a essayé de retracer brièvement l’évolution de cette science à travers les siècles, depuis l’Antiquité à nos jours. Ce travail, en cours d’élaboration, est consigné dans l’une des rubriques d’un site web dédié aux mathématiques intitulé epsilon.tn.
Le voyage commence avec Pythagore (vers 450 Av-J.C.) et le célèbre théorème qui porte son nom et que tous les lycéens connaissent. Et il semble que, pour énoncer ce théorème, Pythagore ait été inspiré par des pratiques de construction d’un angle droit lors de son séjour en Egypte.
En effet, les Egyptiens utilisaient des cordes avec de gros nœuds à égale distance et les fixaient de manière à former un triangle en prenant un côté avec 3 nœuds, un autre avec 4 nœuds et le troisième avec 5 nœuds (nombre de nœuds avec extrémités incluses pour les trois côtés). Ainsi, l’angle opposé au grand côté de 5 nœuds était nécessairement un angle droit.
Pythagore, remarquant que, dans un triangle, le carré de la longueur du grand côté était égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés, en déduit son célèbre théorème. Toutefois, la première démonstration écrite de ce théorème a été donnée par Euclide (vers 300 Av-J.-C.).
Euclide, voilà un autre nom incontournable de l’histoire des mathématiques. On lui doit un traité sur la géométrie plane ‘‘Données’’, et une œuvre constituée de 13 livres connue sous le nom ‘‘Les éléments’’ qui traite des problèmes de théorie des nombres et de géométrie.
Evidemment, entre l’Antiquité et le temps actuel, on passe, selon la chronologie et la terminologie communément adoptées par l’Occident, par le Moyen Âge, la Renaissance et les Temps Modernes.
Les mathématiques au Moyen Âge
«Les mathématiques ne révèlent leurs secrets qu’à ceux qui les abordent avec pur amour, pour leur propre beauté.» (Archimède).
Le Moyen Âge s’étend de la fin de l’Antiquité située en 476 jusqu’à la Renaissance qu’on situe en 1453, date de la chute de l’Empire romain d’Orient et la prise de Constantinople par l’Empire ottoman.
Cette période a connu la révélation du Saint Coran en 610 et l’avènement de l’Islam. La civilisation musulmane, a apporté, alors à son apogée, une contribution considérable à la création scientifique en général et en mathématiques en particulier. L’un des plus illustres mathématiciens de cette période est Mohamed ibn Moussa Al-Khawarizmi qui est né vers l’an 780. Issu d’une famille originaire de Khawarizm, en Asie centrale, Al Khawarizmi a grandi à Bagdad, en Irak, et a travaillé à Beït Al-Hikma (la Maison de la Sagesse) qui constituait le centre du savoir du califat des Abassides. Al-Khawarizmi est considéré comme le père de l’algèbre. Le nom de cette branche des mathématiques provient en fait du mot arabe «al-jabr» qui se trouve dans le titre du livre d’Al-Khawarizmi ‘‘Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison’’. Ce livre a constitué une référence essentielle dans l’enseignement des mathématiques du 12e au 16e siècle dans les universités de l’Orient et de l’Occident.
L’un des principaux apports d’Al-Khawarizmi est la résolution des équations en utilisant des méthodes algébriques. C’est ainsi que ces méthodes ont pris le nom d’algorithme, dérivé du nom d’Al-Khawarizmi. L’autre apport important d’Al-Khawarizmi est la diffusion de l’utilisation du système de numération décimale qu’il a observé chez les Indiens. Son ‘‘Livre de l’addition et de la soustraction d’après le calcul indien’’ a permis de diffuser ces chiffres au Moyen Orient et en Andalousie. Traduit de l’arabe au latin au 12e siècle, ce livre a permis de diffuser la numération décimale en Occident.
Ainsi, vu leur transition par le monde arabo-musulman, ces chiffres ont été désignés en Occident par «chiffres arabes». Il est à noter que les travaux d’Al-Khawarizmi ont notamment été transmis à l’Europe par le mathématicien italien Leonardo Fibonacci qui fut éduqué en Afrique du Nord et eut ainsi l’occasion d’étudier les travaux algébriques d’Al-Khawarizmi. Fibonacci est surtout connu dans la communauté mathématique par la suite qui porte son nom et du rapport qu’il a établi entre cette suite et le «nombre d’or».
On ne peut ne pas citer, parmi les grands mathématiciens du Moyen Âge, Al-Kindi qui s’était intéressé à la philosophe, la logique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la médecine.
Al-Kindi avait fait ses études à Bassorah et à Bagdad et a vécu pendant le règne du calife Al-Mamoun qui a fondé Beït Al-Hikma en 830 et puis d’Al-Motasem. Pour Al-Kindi, qui accorde une prééminence aux mathématiques, pour étudier la philosophie, il faut commencer par les mathématiques, dans l’ordre suivant : arithmétique, géométrie, astronomie, musique. Cette prééminence donnée à l’étude des mathématiques se situe dans la lignée de la vision de Platon.
Les mathématiques de la Renaissance
«Pour comprendre l’univers, vous devez comprendre le langage dans lequel il est écrit, le langage des mathématiques.» (Galilée).
L’Occident, au milieu du XVe siècle, s’est réveillé après un long décrochage au Moyen Âge pour découvrir et assimiler les connaissances philosophiques et scientifiques transmises et développées essentiellement par les Arabes dont certaines étaient reprises de la civilisation gréco-romaine. Cet héritage a notamment transité par l’Andalousie alors sous le règne des califes musulmans qui a débuté en 711 et s’est terminé en 1492 avec la chute de Grenade. Les mathématiques ont ainsi vu un certain essor en liaison notamment avec l’astronomie qui avait recours à la géométrie.
C’était la période de remise en cause du géocentrisme qui plaçait la terre au centre de l’univers au profit de l’héliocentrisme pour lequel c’est le Soleil qui est au centre avec des planètes qui gravitent autour de lui. Cette évolution est due à Copernic et Kepler au début du XVIe siècle.
Les problèmes de géométrie issus de l’astronomie entrainaient la résolution d’équations algébriques. Outre le recours aux travaux d’algèbre d’Al-Khawarizmi, il a alors été question de résoudre des équations du troisième ou du quatrième degré et de développer les notions de trigonométrie héritées des savants arabes. On voit ainsi, l’imbrication des sciences physiques avec les mathématiques pour mieux comprendre l’univers où nous vivons.
Les maths et la philosophie
«Il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre; et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini.» (Blaise Pascal, ‘‘Pensées’’).
D’un côté, plus immatériel que leur lien avec les sciences astronomiques ou physiques, les mathématiques, à bien des égards, flirtent avec la philosophie, en se heurtant notamment à des concepts que seule l’imagination peut concevoir comme l’infiniment grand et l’infiniment petit. Ces concepts étant, bien que difficilement palpables, cruciaux dans le développement des raisonnements mathématiques.
L’un des noms incontournables de la renaissance est le philosophe et mathématicien français René Descartes (XVIIe siècle) à qui l’on doit notamment un essai sur l’optique et la loi de la réfraction et un autre sur la géométrie. Il est considéré comme le créateur du lien entre la géométrie et l’algèbre ou ce qu’on appelle aujourd’hui la géométrie analytique. Descartes a notamment participé à la diffusion de l’usage des lettres «x», «y», «z»… dans les équations algébriques pour désigner des inconnues et «a», «b», «c»… pour les paramètres connus. La plus célèbre de ces «inconnues» est évidemment la lettre «x» qui, selon certaines explications, justifie l’appellation de l’Ecole Polytechnique en France par X à cause de la forte composante mathématique dans la formation des ingénieurs de cette école.
L’apport de Blaise Pascal au développement des mathématiques au XVIIe siècle est évidemment d’une grande importance. Pour encore souligner l’imbrication entre les mathématiques et diverses autres sciences, notons que pendant ce siècle, les mathématiciens s’intéressaient presque tous à la philosophie et à d’autres sciences. Les mathématiques servant tantôt d’outil de soutien à d’autres sciences tantôt de relais vers des réflexions philosophiques.
Ainsi, outre ses «pensées» philosophiques, Blaise Pascal a fait des travaux pour mesurer la pression et établi des lois dans ce domaine et c’est pourquoi son nom est rattaché à l’unité de mesure de la pression. En mathématiques il a établi le «triangle de Pascal» qu’on enseigne encore aujourd’hui dans les lycées et qui permet de déterminer les coefficients du développement de la somme de deux nombres a et b à la puissance n, n étant un nombre entier positif.
Ce développement est aussi connu sous le nom de binôme de Newton quoiqu’il semble que Newton ait donné une formule pour calculer ces coefficients quand a ou b est égal à 1. Isaac Newton est un autre géant en sciences physiques et mathématiques, connu pour sa loi sur la gravité universelle, mais aussi mathématicien. Il a réalisé ses principaux travaux en mathématiques et en physique à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe. Il a créé le calcul infinitésimal et assis les bases de l’analyse moderne même si le philosophe mathématicien allemand Leibniz, contemporain de Newton, revendique aussi la création du calcul infinitésimal.
Les mathématiques des temps modernes
Cette période qui s’étalerait de la fin du XVIIe siècle jusqu’à l’époque contemporaine a connu des progrès spectaculaires dans le domaine des probabilités, sous l’impulsion des Bernouilli et de Euler, puis en algèbre, dans la seconde partie du XVIIIe siècle, grâce aux travaux de Lagrange. Mais c’est la mise au point par Newton et Leibniz du calcul infinitésimal qui constitue un tournant important dans le développement des mathématiques. Ce progrès a notamment permis à Newton de poser les bases de la physique classique. La théorie de Newton, bien que combattue par certains, a fini par s’imposer et de philosophes comme Voltaire y ont adhéré, celui-ci allant jusqu’à s’initier aux mathématiques et à rédiger un essai sur ‘‘Les Éléments de la philosophie de Newton’’, une philosophie qui a constitué une véritable révolution dans la pensée de l’époque.
L’époque contemporaine et les mathématiques
«Un mathématicien est une personne capable de trouver des analogies entre les théorèmes; un meilleur mathématicien peut voir des analogies entre les démonstrations. Les très bons mathématiciens sont ceux capables de déceler des analogies entre des théories. Mais on peut supposer que le mathématicien ultime est celui qui peut voir des analogies entres les analogies» (Stefan Banach).
Il serait trop long de citer tous les mathématiciens qui ont développé et développent cette science dans différentes directions aux XIXe et XXe siècles et de nos jours. On se contentera de citer les plus brillants.
En interrogeant ChatGPT sur le plus grand mathématicien du XIXe siècle, on reçoit cette réponse : «Le XIXe siècle a vu émerger de nombreux mathématiciens remarquables, et il est difficile de désigner un seul comme le plus grand. Cependant, l’un des mathématiciens les plus influents de cette époque était Carl Friedrich Gauss (1777-1855), souvent considéré comme le prince des mathématiques. Gauss a apporté d’importantes contributions à divers domaines des mathématiques, notamment l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie et la statistique. Ses travaux ont eu une influence profonde sur le développement des mathématiques au XIXe siècle. D’autres mathématiciens notables du XIXe siècle incluent Évariste Galois, Bernhard Riemann, Niels Henrik Abel, Augustin-Louis Cauchy, et d’autres encore, qui ont tous joué un rôle significatif dans l’avancement des mathématiques à cette époque.»
Les grands mathématiciens du XXe siècle
«Je suis mathématicien. Les mathématiques ont rempli ma vie.» (Laurent Schwartz).
Pour le XXe siècle, ChatGPT nous donne cette réponse : «Il est difficile de désigner un seul mathématicien comme le plus grand du XXe siècle, car de nombreux mathématiciens ont apporté d’importantes contributions dans divers domaines. Cependant, quelques figures notables incluent:
1. David Hilbert (1862-1943) : un mathématicien allemand qui a eu une influence majeure sur le développement des mathématiques au début du XXe siècle, notamment dans le domaine de la géométrie, de la théorie des nombres et de la logique mathématique.
2. André Weil (1906-1998) : un mathématicien français qui a contribué de manière significative à la topologie, la géométrie algébrique et la théorie des nombres.
3. John von Neumann (1903-1957) : un mathématicien hongrois-américain qui a joué un rôle fondamental dans le développement de l’informatique, de la théorie des jeux, de la mécanique quantique, et d’autres domaines.
4. Alan Turing (1912-1954) : un mathématicien et logicien britannique qui a jeté les bases de l’informatique théorique et de l’intelligence artificielle.
5. Alexandre Grothendieck (1928-2014) : un mathématicien franco-allemand qui a révolutionné la géométrie algébrique et a eu une influence majeure sur de nombreux domaines des mathématiques.
Ces noms ne représentent qu’une petite partie des mathématiciens remarquables du XXe siècle, et d’autres pourraient également être considérés en fonction des domaines spécifiques de recherche et des contributions individuelles. »
En effet, il manque à cette liste Stefan Banach qui a posé les bases de l’analyse fonctionnelle et donné son nom aux espaces de Banach. Il lui manque aussi Laurent Schwartz, le père des «distributions» récompensé pour la formalisation de cette théorie par la médaille Fields en 1950, devenant ainsi le premier français à l’obtenir. Et puis, on ne trouve pas dans la liste non plus Henri Poincaré considéré comme le fondateur de la topologie algébrique. Il est l’auteur d’une conjecture énoncée en 1904. Cette conjecture qui porte son nom est liée à la topologique algébrique et n’a été démontrée qu’en 2003. On ne peut évidemment citer tous les mathématiciens des derniers siècles tant nombreux sont ceux qui ont apporté leur pierre à l’édifice.
Les mathématiciens contemporains
«Aussi impénétrable que cela puisse paraître, si vous ne l’essayez pas, vous ne pourrez jamais le faire.» (Andrew Wiles).
Pour la question sur le plus grand mathématicien contemporain, ChatGPT nous livre cette réponse : «Il est difficile de désigner un seul mathématicien contemporain comme le plus grand, car cela dépend souvent des critères spécifiques et des domaines de recherche. De plus, la reconnaissance dans le domaine des mathématiques peut varier en fonction des perspectives. Cependant, quelques mathématiciens contemporains ont été largement reconnus pour leurs contributions majeures. Parmi eux, on peut citer :
1. Andrew Wiles : un mathématicien britannique surtout célèbre pour sa démonstration du dernier théorème de Fermat en 1994.
2. Grigori Perelman : un mathématicien russe qui a résolu la conjecture de Poincaré en 2003, mais a décliné la médaille Fields et la récompense financière associée.
3. Terence Tao : un mathématicien australien qui a fait d’importantes contributions à plusieurs domaines des mathématiques, notamment l’analyse harmonique, l’équation de Navier-Stokes, et la théorie des nombres.
4. Maryam Mirzakhani (1977-2017) : une mathématicienne iranienne qui a été la première femme à remporter la médaille Fields en 2014 pour ses travaux en géométrie et topologie.»
Quand on cherche à savoir un peu plus sur Terence Tao, on tombe sur un article de ‘‘Science et avenir’’ qui le décrit ainsi : «Enfant prodige, il commence son parcours universitaire à l’âge de neuf ans et, à trois reprises, participe aux Olympiades internationales de mathématiques, gagnant une médaille d’or à l’âge de 13 ans (record de précocité inégalé). Son parcours universitaire est à l’avenant : après sa thèse soutenue en 1995, il rejoint UCLA en 1996 – à l’âge de 21 ans – et y devient professeur à 24 ans.» Tao, à 47 ans, a publié plus de 300 articles scientifiques en collaboration avec plusieurs chercheurs. Il a notamment travaillé sur l’acquisition comprimée (compressed sensing) qui révolutionne le domaine du traitement du signal, étant entendu que le traitement du signal joue un rôle crucial dans les technologies de la communication et de l’information. Tao entretient aussi un blog sur WordPress avec un riche contenu scientifique et une rubrique dédiée au conseil pour les étudiants et les chercheurs en mathématiques. Il donne aussi un aperçu sur ses derniers travaux et écrit même des articles à propos de la démarche à adopter pour enseigner les mathématiques aux différents niveaux à partir de l’école primaire jusqu’à l’université. La citation de Shakespeare donnée au début de ce texte introduit, d’ailleurs, l’un de ses articles à ce sujet.
Et les mathématiciens tunisiens dans l’arène ?
Le Tunisien Abbas Bahri (1955-2016) est certainement le plus brillant mathématicien tunisien contemporain. Parti trop tôt, ses collègues et amis tunisiens n’ont pas manqué d’honorer sa mémoire en créant une chaire qui porte son nom à la Faculté des Sciences de Tunis. Le témoignage suivant est extrait de l’hommage fait par le professeur Sadok Kallel, professeur de mathématiques à l’Université américaine de Sharjah, aux Emirats arabes unis (UAE), au cours de la cérémonie du quarantième jour de son décès. On y lit : «Abbès Bahri était une école. Ses prolifiques travaux, tout aussi profonds que féconds, couvrent un champ mathématique très large, touchant à la géométrie, l’analyse, les équations différentielles et la topologie. Ses étudiants à travers le monde continuent à faire porter l’aura d’un génie qui a éclos à l’école normale supérieure d’Ulm à Paris en 1974 pour obtenir ensuite les prix Fermat et Langevin la même année en 1989. Le génie mathématique est une denrée rare. Dans l’histoire, des noms comme Euler, Gauss, Hilbert, Ramanujan ou Grothendieck restent profondément ancrés dans le subconscient des mathématiciens et scientifiques. Ces génies avaient à la fois la force de construire les théories (theory builders) et la puissance technique pour résoudre les problèmes (problem solvers). Les mathématiques sont d’une certaine manière la recherche de l’ordre et de la simplicité dans la complexité.» Et Pr. Kallel de poursuivre : «Bahri a pu dans ses tous derniers écrits, par un mélange extrêmement subtil de l’analyse et de la géométrie, éclaircir des pans entiers de ces travaux, les solidifier et les étendre. Dans un tout dernier tour de force mathématique, et juste avant sa tragique disparition, il a pu à lui seul décortiquer les centaines de pages de la démonstration récente de la fameuse conjecture de Poincaré, rédigée par une panoplie d’experts, déceler des insuffisances et les compléter. De l’avis de nombreux experts, nul autre n’aurait pu faire un tel travail de titan.»
Et Bahri rappelle ainsi, à travers ses ultimes travaux, que les mathématiques sont un langage universel et un vecteur de communication entre les hommes. La conjecture de Poincaré citée plus haut dans cet article, proposée par un Français, est résolue par un Russe, Grigori Perelman, et sa démonstration est revue et consolidée par un Tunisien.
La place des mathématiques dans la société de nos jours
«Les mathématiques ne sont pas une moindre immensité que la mer. » (Victor Hugo).
L’on ne peut évidemment clore ce panorama sur les mathématiques et leurs applications sans signaler leur importance dans la société de l’information qui s’est installée chez nous, une société où les Tics ont tout bouleversé. Les Tics basées sur l’informatique et les télécommunications dont la convergence a révolutionné tous les aspects de la vie économique et sociale de ce nouveau siècle. Après l’internet et les réseaux sociaux, le dernier-né de cette révolution est l’intelligence artificielle (IA), fortement consommatrice de mathématiques, qui, avec ses derniers développements vers une IA générative ébranle les modes de production et de gestion existants et pousse vers un nouveau palier dans le paradigme de la société de l’information.
Au final, doit-on craindre les maths ou les aimer ?
«Ne vous inquiétez pas pour vos difficultés en mathématiques, les miennes sont encore plus grandes.» (Albert Einstein).
Après ce tour d’horizon de l’Antiquité jusqu’à nos jours à propos des mathématiques et de leurs applications, que peut-on conclure sur l’attitude à prendre vis-à-vis de cette science ? Le lecteur a certainement sa propre conclusion. Une chose est sûre, ce passage en revue du rôle joué par les mathématiques à travers les âges, permet de dégager une corrélation nette entre l’essor des civilisations et celui des mathématiques et, a contrario, entre le déclin des nations et celui de l’intérêt qu’elles ont pour cette science. Cette constatation peut paraitre prétentieuse mais elle est justifiée par le fait que les mathématiques sont décisives pour le développement de toutes les autres sciences.
Maintenant, faut-il aimer les mathématiques? La réponse est que l’on ne doit pas les craindre. Et, au niveau des décideurs, on doit créer les conditions pour que les jeunes s’y adonnent avec plaisir. Pour l’étude des mathématiques comme pour toute autre activité humaine, la passion et le plaisir qu’on trouve à la tâche sont les seuls garants du succès. Plutôt que de les craindre, il faudrait appréhender les mathématiques comme un jeu. Dès l’enfance. Nous espérons nous engager, à notre modeste niveau, dans cette voie à travers epsilon.tn, en proposant, outre un aperçu sur l’histoire des mathématiques, des énigmes qui permettent de faire usage de logique et de raisonnements mathématiques sans le formalisme qui entoure cette science.
* Universitaire.
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