Tunisie : Gare au retour du culte de la personnalité !

Bien que l’intervention directe du chef de l’État puisse parfois être nécessaire dans des situations d’urgence ou de crise, elle ne doit pas devenir la norme. Il est essentiel de préserver la séparation des pouvoirs en permettant au gouvernement de fonctionner de manière autonome et en encourageant la responsabilité et l’initiative au sein de l’appareil d’Etat. (Illustration : «Visite inopinée» du chef d’Etat au palais du gouvernement).

Par Leith Lakhoua *

Les interventions directes du président de la république pour superviser des opérations de levée des déchets de construction dans le quartier de Mnihla ou pour s’enquérir de la situation des entreprises publiques en difficulté telles que Al-Fouladh, la Société nationale de cellulose et de papier alfa (SNCPA) et la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), soulève des questions importantes sur le fonctionnement de l’Etat, sur la répartition des responsabilités au sein du pouvoir exécutif et sur les prérogatives laissées au chef de gouvernement ou Premier ministre.

Il est indéniable que ces «visites inopinées» de Kaïs Saïed pourraient avoir un impact positif sur l’économie et la société tunisiennes, paralysées par l’immobilisme et le laisser-aller, même si on attend encore d’en voir les retombées positives, mais elles soulèvent également des questions sur la concentration excessive des pouvoirs entre les mains du chef de l’État. Est-ce souhaitable? Est-ce utile? Que peut-on sérieusement en attendre? Cela aiderait-il à lever les obstacles observés et à débloquer les situations ou à les compliquer davantage, en créant un climat de suspicion généralisée, chacun renvoyant la patate chaude à l’autre?  

Le chef de l’Etat marginalise le gouvernement

Traditionnellement, le chef du gouvernement est chargé de planifier des actions, de superviser leur exécution et de gérer les affaires courantes, tandis que le président de la république est, à la fois, chef de l’État et chef des armées. En tant que chef de l’exécutif, il veille au respect de la Constitution. Et est garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités conclus par la nation. Il conduit aussi la diplomatie. Son rôle est donc éminemment représentatif.

Cependant, en Tunisie, il semble que cette répartition des rôles a été inversée, avec un chef de l’État intervenant directement dans la résolution des problèmes du quotidien censés relever de la compétence des membres du gouvernement, chacun selon son champ d’intervention.

Cette situation révèle non seulement une défaillance du gouvernement qui n’assume pas ses responsabilités, mais aussi une forte dépendance de la volonté du chef de l’État pour lancer des initiatives et déclencher des actions.

Alors que la révolution de 2011 avait suscité l’espoir d’un pouvoir plus décentralisé et moins personnalisé et d’un gouvernement responsable, proactif et autonome vis-à-vis du chef de l’Etat, il semble que l’attente d’une action de la part du chef de l’État soit devenue une norme acceptée de tous.

Cela pose la question de la démocratie et de la séparation des pouvoirs dans notre pays. La concentration excessive des leviers de la décision nationale entre les mains du chef de l’État risque de compromettre l’équilibre des pouvoirs et d’affaiblir les institutions démocratiques. De plus, cela pourrait également nous ramener au carré du culte de la personnalité qui a fait beaucoup de mal à la Tunisie et dont on a cru s’être définitivement débarrassé, ce qui est contraire aux principes démocratiques.

Préserver la démocratie et la séparation des pouvoirs

Il est donc impératif que le gouvernement tunisien reconsidère sa manière de fonctionner et renforce ses capacités à agir de manière autonome et proactive. Les ministres et les gouverneurs doivent assumer leurs responsabilités et accomplir leurs tâches de manière efficace et efficiente, sans attendre des directives directes du chef de l’État.

Bien que l’intervention directe du chef de l’État puisse parfois être nécessaire dans des situations d’urgence ou de crise, elle ne doit pas devenir la norme. Il est essentiel de préserver la démocratie et la séparation des pouvoirs en permettant au gouvernement de fonctionner de manière autonome et en encourageant la responsabilité et l’initiative au sein de l’appareil d’Etat.

* Expert consultant en logistique et organisation industrielle.

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